Bien qu’ecclésiastiques l’un comme l’autre, Armand du Plessis, cardinal de Richelieu, et Jean Duvergier de Hauranne, abbé se Saint-Cyran, ne partagèrent pas les mêmes convictions intellectuelles, spirituelles ou politiques.

Pourtant, au début de leurs vies publiques respectives, ils s’épaulèrent. Duvergier, grand vicaire de l’évêque de Poitiers, soutint du Plessis pour son élection aux États-Généraux de 1614. Ce fut le lancement de la carrière politique du second. Pourtant, vingt ans plus tard, leurs opinions divergent. Saint-Cyran devient le chef de file du « parti dévot », confesseur de Port-Royal et Richelieu est Premier ministre. Ils s’appréciaient toujours et Richelieu qualifiait Saint-Cyran de « plus savant homme du monde ». Par un reste d’amitié et pour l’éloigner de Paris, il lui propose l’évêché de Bayonne. Mais l’abbé refuse et continue à critiquer la ligne politique et religieuse du tout puissant cardinal.  Il condamne notamment l’alliance de la France avec les princes luthériens du Saint-Empire Romain Germanique pendant la guerre de Trente ans. Sur des points de doctrine chrétienne, il exprime des opinions théologiques opposées à celles de Richelieu, en particulier sur l’attrition et la contrition.  Le mécontentement du Premier ministre atteint son comble quand l’un des disciples et ancien élève de l’abbé, Antoine Le Maistre, renonce, en 1637, à la profession d’avocat, où il excelle. Neveu des grandes figures du jansénisme, les mères Agnès et Angélique Arnauld, Le Maistre se retire comme solitaire à Port-Royal. C’en était trop pour Richelieu, convaincu du rôle joué par Saint-Cyran dans cette retraite prématurée : il le fait placer en détention au donjon de Vincennes, le 14 mai 1638,

Le chef d’accusation était de « troubler les consciences, d’innover dans l’église, de répandre en secret des maximes pernicieuses comme de vouloir la pratique de la pénitence publique ». Richelieu, qui rêvait d’une église gallicane indépendante, dont il se serait bien vu le grand patriarche, ne pouvait tolérer la réforme qu’incarnait Saint-Cyran. Ce dernier était en effet très proche de Cornelius Jansenius, évêque d’Ypres et fondateur du « jansénisme ». Pendant les années 1617-1635, une correspondance assidue se poursuivit entre les deux hommes. Il n’en reste que les lettres de Jansénius à Duvergier, saisies au moment de l’arrestation de Saint-Cyran. Ces lettres, où les signes conventionnels sont d’un usage fréquent, mentionnent constamment « l’affaire principale », c’est-à-dire la composition de l’Augustinus[1] par Jansenius, Saint-Cyran s’employant à recruter des soutiens pour cette cause religieuse.

L’arrestation de l’abbé de Saint-Cyran fit du bruit dans le Paris de l’époque. Son incarcération fut des plus rigoureuses à ses débuts. Sept mois sans visite, sans papier ni livres. Peu à peu les conditions de détention s’améliorent sur l’intervention de plusieurs proches du cardinal qui lui suggèrent de ne pas faire de Saint-Cyran un martyr. Le détenu eut droit à du papier, des livres et des visites. Un procès sans suite lui est intenté avec un interrogatoire dans les murs mêmes de la prison. Vincent de Paul, qui l’estimait et qui lui devait beaucoup, n’osa pas le défendre parce qu’il tremblait pour les institutions charitables auxquelles il avait voué sa vie entière mais, du moins, refusa-t-il de se joindre à ses accusateurs. Dans un interrogatoire où il était témoin, le ftur saint reconnut l’orthodoxie et la parfaite innocence de son maître spirituel. Mais, pendant ce temps, les idées de Saint-Cyran se diffusaient largement au travers des murs, pourtant épais, du donjon… Racine, qui s’intéressa beaucoup au jansénisme, écrivit : « Ce fut dans cette prison que l’abbé de Saint-Cyran écrivit ces belles Lettres chrétiennes et spirituelles dont il s’est fait tant d’éditions avec l’approbation d’un fort grand nombre de cardinaux, d’archevêques et d’évêques, qui les ont considérées comme l’ouvrage de nos jours qui donne la plus haute et la plus parfaite idée de la vie chrétienne ». C’est à Vincennes que Saint-Cyran rédigea certains de ses ouvrages théologiques essentiels[2].  Ce qui fit dire à certains que son rayonnement ne fut jamais plus grand que derrière les murs et les barreaux du donjon !

Il fallur attendre le décès du Cardinal pour élargir l’abbé. Richelieu mort, Vincent de Paul reprit courage ; il fut l’un des premiers à venir embrasser Saint-Cyran à Vincennes et à le féliciter de sa prochaine délivrance. Le 6 février 1643, l’abbé quitte enfin sa prison. Il est conduit directement au monastère de Port-Royal du faubourg Saint-Jacques à Paris. Il y revient de manière régulière et reprend ses activités. Mais, éprouvé physiquement, il ne se remet pas de sa longue détention. Il décède le 11 octobre de la même année, moins d’un an après son persécuteur. Saint-Cyran est inhumé à l’église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas à Paris, en présence de ses amis (dont Vincent de Paul) et de six évêques. Il y repose toujours, à l’exception toutefois de ses deux mains que réclama son disciple Le Maistre, de son crane qui alla au couvent de la visitation à Poitiers, de son cœur à Port-Royal-des-Champs et de ses entrailles à Port-Royal de Paris…

Il eut droit à une épitaphe, toujours visible, assez sobre :

Abbé de Sain-Cyran, mort le 11 octobre 1643 dans l’unité de la seule église, laquelle il avait voulu, avec illustre savoir, servir et aimer.

En tout cas, c’est moins féroce que l’épitaphe de son grand rival théologique et politique, Richelieu, qui eut droit à un quatrain[3] humoristique, peu flatteur et féroce :

Ci-gît un fameux Cardinal
Qui fit plus de mal que de bien
Le bien qu’il fit, il le fit mal
Le mal qu’il fit, il le fit bien.

[1] Dans cet ouvrage monumental sont développées les réflexions théologiques de Jansenius sur l’œuvre de saint Augustin. La question de la grâce y est ainsi fortement développée. C’est le point sur lequel jésuites et jansénistes s’opposèrent longtemps, le pape et le roi de France donnant raison aux premiers.

[2] Notamment, Pensées sur le sacerdoce, Pensées sur la pénitence.

[3] Cette épitaphe serait due à Isaac de Benserade, gentilhomme normand, écrivain et académicien (1612-1691). Peu charitable, elle ne fut pas gravée sur le tombeau du Cardinal, érigé dans la chapelle de la Sorbonne, mais circula largement dans Paris lors du décès du Premier ministre.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP