À l’instar de l’ordinateur il y a une décennie ou deux, le changement climatique est devenu le bouc émissaire de service à tout faire. Quand quelque chose va mal, dans le monde ou dans la société, on voit vite arriver l’explication préfabriquée : c’est le changement climatique ! C’est bien sûr le cas pour les manifestations déplaisantes de la météo (sécheresse, ouragans, inondations, canicule ou même grands froids), le changement climatique est à l’œuvre, du moins dans le discours. Cela dispense de toute explication argumentée, cela caresse dans le bon sens la pensée environnementalement correcte. Peu importe que la même cause supposée produise des effets contraires (sècheresse ou inondation, canicule ou grand froid), la justification « passe-partout » reste de mise au prix de quelques acrobaties intellectuelles imperceptibles du public déjà, conditionné par le rabâchage permanent du même argument. Plus besoin de démonstration, l’affirmation en tient lieu. Cet acte de foi en forme de pétition de principe se substitue à tout raisonnement. C’est évidemment pain bénit pour les journalistes, toujours avocats des grandes causes mais souvent paresseux dans leurs investigations. Le changement climatique est le coupable idéal, une fois pour toutes.

Le fait nouveau est l’extension du champ d’application de l’argument au-delà du domaine climatique originel. On a vu dernièrement le changement climatique apparaître parmi les causes quasi-certaines de la perte de biodiversité, de la déforestation et de l’épidémie du coronavirus aussi ! Le raisonnement est plus tortueux mais toujours aussi péremptoire. Plus cocasse, il vient aussi à la rescousse des grandes questions sociales et sociétales. Ainsi, avec son aplomb légendaire, Ségolène Royal n’a-t-elle pas hésité à nous affirmer que le changement climatique était la cause de l’inégalité des genres, des discriminations à l’égard des femmes et un facteur d’aggravation de la pauvreté en général. « Les effets du dérèglement (climatique) sur la fertilité des sols, sur les ressources en eau, et donc sur la sécurité alimentaire des populations des pays en développement, exercent une pression plus forte sur les femmes. Ces contraintes supplémentaires provoquent une surcharge de travail pour les ménages, qui aboutit souvent à une déscolarisation précoce des jeunes filles[1]. » Fichtre ! Voilà la cause de bien des maux en somme !

Les organismes internationaux ne sont pas les derniers à agiter l’épouvantail pour dénoncer un grand coupable. Dès 2002, un rapport de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) écrivait : « Le changement climatique est déjà responsable de 2,4% environ des cas de diarrhée dans le monde et de 6% des cas de paludisme dans certains pays à revenu intermédiaire ». On admirera au passage la finesse des chiffres (2,4% c’est impressionnant…de précision). Un rapport de la très sérieuse Université de Montréal[2], repris par différents instituts d’infectiologie[3], établit une corrélation entre le changement climatique et le développement de certaines maladies infectieuses (chikungunya, dengue, zika, maladie de Lyme, etc.). Je n’ai pas la compétence pour me prononcer sur ces matières, je me borne à observer que corrélation ne vaut pas causalité et que, sans doute, les facteurs sont multiples comme les auteurs ne manquent pas de le relever (les pratiques d’hygiène, la mobilité accrue, une immunisation insuffisante des populations, entre autres). Plus près de nous encore, l’épidémie de coronavirus-covid19 concentre la réflexion médicale sur les maladies émergentes, les zoonoses[4] et leur développement. En 2016, le PNUE (programme des nations unies pour l’environnement) glissait le ver dans le fruit : « l’émergence de maladies zoonotiques est souvent associée aux changements environnementaux » qui sont « habituellement le résultat d’activités humaines, de la modification de l’usage des sols au changement climatique ». Dans un rapport bien documenté et équilibré, employant le conditionnel, l’Institut national de la santé du Québec écrit en 2020[5] : « Les changements climatiques actuels et anticipés contribueraient à l’augmentation des zoonoses pour plusieurs raisons.

  1. Création de conditions favorables à la prolifération des agents pathogènes, soit des organismes pouvant causer des maladies parasitaires ou microbiennes.
  2. Modification de l’habitat, de la période d’hibernation, de la durée de vie ainsi que des conditions de reproduction des espèces réservoirs de par les hausses de température, de précipitations et d’humidité.
  3. Multiplication des activités extérieures, comme la randonnée et le camping, parce que la saison estivale est plus chaude et prolongée, ce qui expose davantage les personnes aux risques d’infections. »

C’est plausible, raisonnable et prudent. Néanmoins certains journalistes franchissent le pas avec moins de précaution et enfourchent les chevaux de bataille des grandes causes universelles. On assite à un amalgame primaire fait d’affirmations alignées : « Le changement climatique impacte plus durement les populations les plus vulnérables et est un multiplicateur des inégalités sociales et environnementales préexistantes… L’émergence de maladies infectieuses est favorisée par le changement climatique et la destruction de la biodiversité… Les climatologues observent des bouleversements dans l’organisation et la durée des saisons ; cela pourrait avoir un impact sur les périodes de survenue des épidémies ainsi que sur leur durée [6]».

Dans l’acception ancestrale du bouc émissaire, celui-ci était incarné par un individu ou par un groupe. La « purification » se faisait par le sacrifice dudit bouc qui était supposé porteur du mal et des péchés que l’on voulait conjurer ou éliminer. Cela a donné lieu au cours des temps à bien des excès dont certains groupes humains ont été plus victimes que d’autres. Mais la personnification, pour simpliste et cruelle qu’elle fût, identifiait l’objet du mal et de la vindicte. Aujourd’hui le changement climatique a la vie beaucoup plus dure que les victimes expiatoires d’antan. Il ne se laisse pas circonvenir et ne semble guère redouter les imprécations et les anathèmes prononcés à son endroit dans les grand-messes des « COP » (Conferences of the Parties ou « CdP » en français). Le rituel du bouc émissaire ne peut donc être accompli jusqu’à son terme, ce qui laisse régner la peur, l’anxiété et la frustration parmi le bon peuple. Ne profitent de la situation que ceux qui ont nourri cette thèse, c’est leur intérêt d’entretenir la menace puisqu’elle justifie leur discours et leur emprise médiatique. Vous voyez à qui je pense !

 

[1] Rapport Femmes et climat produit en novembre 2016, à la demande de Ségolène Royal, à l’époque présidente de la COP 21.

[2] Université de Montréal, avril 2014, Jean-Pierre Vaillancourt et Nicholas Ogden.

[3] 20e journées d’infectiologie Lyon 7 – 9 juin 2019.

[4] Maladie infectieuse atteignant les animaux, et qui peut être transmise à l’homme (peste, rage, etc.). 75% des maladies humaines seraient des zoonoses.

[5] Site Internet : <www.monclimatmasante.qc.ca>

[6] Morceaux choisis extraits d’au article du journal Libération du 7 juin 2020.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP