Dans les périodes troublées qu’a connues notre pays, notamment les révolutions du XIXe siècle, l’agitation populaire parisienne faisait souvent craindre le pire au gouvernement du moment.

Ce fut le cas après les journées de février 1848 qui chassèrent du pouvoir Louis-Philippe et la monarchie en France. François Raspail et quelques autres avaient proclamé la république le 24 février sur le balcon de l’Hôtel de ville. Les élections qui suivent en avril désignent cependant une assemblée modérée avec une forte présence de monarchistes. Ce n’était pas du goût des républicains radicaux : François Raspail, Auguste Blanqui, Armand Barbès et Louis Blanc. Ils profitent d’une manifestation le 15 mai en faveur de la Pologne pour marcher sur l’Hôtel de ville, prononcer la dissolution de l’Assemblée et annoncer la constitution d’une commission de gouvernement insurrectionnelle. Ils furent à deux doigts de réussir ce coup d’état qui aurait changé la couleur de la Deuxième République. Ils bénéficiaient de la complicité du général de Courtais, commandant la Garde nationale de la Seine, membre de l’assemblée et sympathisant de la cause insurrectionnelle. De justesse, la commission exécutive légale, représentant le pouvoir officiel, réussit à expulser les émeutiers de l’Assemblée et de l’Hôtel de ville. Les principaux meneurs furent arrêtés dont quatre députés, Barbès, Raspail, le général de Courtais et Alexandre Martin dit « l’ouvrier Albert ». Blanqui, caché dans Paris fut arrêté dix jours plus tard.

Le gouvernement choisit Vincennes plutôt qu’une prison parisienne, à la merci d’une nouvelle émeute. Celle-ci eût bien lieu en juin 1848 mais se trouva privée de ses chefs naturels, derrière les murs de la forteresse de Vincennes. Le commandant de la place, le général Perrot, était un homme à poigne qui ne cédait pas à l’intimidation. Lors d’une manifestation autour du château, il fait armer les batteries en faisant savoir qu’il donnerait l’ordre d’ouvrir le feu si toute personne franchissait le glacis. Ce fut dissuasif et les prisonniers restèrent aux mains du gouvernement légal. Chaque détenu occupait une pièce séparée donnant sur la grande salle du donjon où se trouvaient leurs gardiens. Ils s’adonnèrent à des loisirs divers. L’un dressa une tourterelle, Raspail élevait deux poules énormes dont les gloussements rendaient incommode la fréquentation de sa chambre. Barbès faisait pousser des fleurs dans sa cellule autrefois occupée par un évêque et couverte d’emblèmes religieux ! Les murs de la prison n’entamèrent pas la résolution politique des détenus. Raspail se fit élire député de la Seine en septembre 1848, il rédigea une brochure de près de deux cents pages en forme d’almanach : La Lunette du donjon de Vincennes. A l’approche de l’élection présidentielle, il se porta candidat mais n’obtint que 0,5% des voix face à Louis-Napoléon Bonaparte dont on connaît la carrière ultérieure. Les prisonniers de Vincennes bénéficiaient de la propagande républicaine. On organisait des banquets pour eux. Un poète composa même une chanson en leur honneur :

« Vincennes, vieux donjon, toi qu’une main royale
Fonda dans l’intérêt de quelques droits mesquins
Rends-nous les défenseurs de l’œuvre sociale
La République attend les vrais républicains.
 »

En mars 1849, après neuf mois d’incarcération, ils furent transférés à Bourges où siégeait, loin de Paris, la Haute Cour de justice. Les débats furent violents, les accusés récusant la compétence de la Cour. En plus, certains, Blanqui et Barbès, se détestaient. Finalement Barbès et Albert furent condamnés à la déportation, Blanqui à dix ans de prison, le député socialiste Joseph Sobrier à sept ans et Raspail à six ans.  Le général Amable de Courtais fut acquitté.

Que devinrent les condamnés ? Peu accomplirent l’intégralité de leur peine. Paradoxalement, le Second Empire fut plus clément que la IIe République.

Barbès, libéré en 1854, se retira aux Pays-Bas où il mourut en juin 1870 peu avant la chute du Second empire. Il fut surnommé par ses admirateurs « le Bayard de la démocratie » (Proudhon). George Sand en dresse en 1867 le portrait suivant : « Un être invraisemblable à force d’être saint et parfait. Valeur immense, sans application immédiate en France ». Un boulevard à son nom fut baptisé en 1892 dans le 18e arrondissement de Paris.

Albert est déporté à la citadelle de Belle-Île-en -mer, où il reste quatre ans, puis incarcéré à la prison de Tours pendant cinq ans. Amnistié en 1859, il travaille à Paris comme inspecteur du matériel et de l’outillage de la Compagnie parisienne du gaz et se tient à l’écart de la vie politique. Il est battu en 1871 aux élections à l’Assemblée nationale. En 1879, il essaie une dernière fois de se faire élire au Sénat, mais sans succès. À sa mort en 1895, le gouvernement lui accorde des obsèques nationales. L’année suivante, la ville de Paris donne son nom à une rue du 13e arrondissement.

Blanqui est interné à Doullens, à Belle-Ile-en-mer, à Corte puis à Mascara en Algérie. Il est amnistié en 1859. Révolutionnaire toujours, dès sa libération il reprend sa lutte contre l’Empire. Le 14 juin 1861, il est arrêté, condamné à quatre ans de prison, et enfermé à Sainte-Pélagie. Il s’évade en août 1865 pour la Belgique où il continue sa campagne de propagande contre le gouvernement, jusqu’à ce que l’amnistie générale de 1869 lui permette de revenir en France. Il prend une part active à la proclamation de la république le 4 septembre 1870 et plaide pour la lutte à outrance contre l’envahisseur prussien. Il n’est pas élu aux élections de janvier 1871, ce dont il conçoit beaucoup d’amertume, il quitte Paris. Il suit de loin mais soutient activement la Commune de Paris. Cela lui vaut d’être arrêté et jugé le 15 février 1872. Il est condamné avec d’autres communards, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Il est interné à la prison de Clairvaux où sa santé se détériore. Clemenceau qui lui voue une forte amitié, s’efforce de le faire libérer. Il est finalement gracié en février 1879. Il se consacre alors à la lutte pour l’amnistie de ses camarades communards. Il parcourt la France et diffuse ses idées dans son journal Ni Dieu ni maître. Le 27 décembre 1880, Blanqui a une congestion cérébrale. Ses amis, notamment Clemenceau et Vaillant, viennent à son chevet. Il meurt le soir du 1er janvier 1881 à Paris, au 25 de ce qui deviendra le boulevard Auguste-Blanqui.

Sobrier fut gracié en janvier 1853 par Napoléon III après avoir adressé à l’empereur une lettre dans laquelle il déclarait renoncer à ses combats politiques. Libéré de la forteresse de Doullens, il s’installa quelque temps à Paris avant de retourner dans l’Isère. Ses problèmes de santé mentale ayant été aggravés par plus de quatre ans de détention, Sobrier fut interné à l’asile départemental d’aliénés de Saint-Égrève, où il mourut le 21 novembre 1854, à l’âge de 44 ans. À ma connaissance aucune voie ne porte son nom aujourd’hui, nulle part en France.

Raspail fut relâché en 1853, il s’exila en Belgique. Rentré en France en 1863, il est élu député de Marseille en 1866, et réélu dans les Bouches-du-Rhône en 1869. Il vote contre la déclaration de guerre à la Prusse en 1870. En 1876, alors qu’il était âgé de 82 ans, Raspail est élu député de Marseille. Comme doyen d’âge, il présida la séance d’ouverture de la nouvelle assemblée. Réélu à nouveau député en 1877, il demande en vain l’amnistie des communards, qui intervient quelques années après sa mort, en 1878. Le boulevard d’Enfer à Paris fut rebaptisé boulevard Raspail en 1887.

De Courtais reprend son siège à l’Assemblée en 1849. Il se retire ensuite à Montfermeil. En 1871, il est élu conseiller général de l’Allier dont il devient le président. Il meurt le 10 juin 1877 à Doyet dans l’Allier. Le principal boulevard de Montluçon, qui ceinture la vieille ville, porte son nom.

Le donjon de Vincennes abrita toutes ces figures républicaines. Les prisonniers d’alors ignoraient qu’ils se trouvaient dans l’antichambre du baptême de leur nom à plusieurs boulevards parisiens. Je pense que c’est néanmoins ce qui a sauvé leur mémoire dans l’esprit du grand public.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP