On sait que le choix du nom d’une marque est souvent décisif pour la notoriété et le succès commercial d’un produit ou d’un service. Il y a d’ailleurs des consultants spécialisés en la matière qui, paraît-il, gagnent bien leur vie. Hormis les noms reprenant celui du fondateur ou celui du lieu de la première implantation, de nombreux noms de marque ont une origine moins décelable en première lecture ou audition. C’est parfois imprévu mais quand le succès est à la clé, on ne peut que saluer le flair des initiateurs. La réussite peut aussi se mesurer au passage de certains de ces noms commerciaux dans le vocabulaire courant. Des marques sont devenues des noms communs, du moins en français, comme « frigidaire », « caddie », « K-way » ou le très politique « Kärcher ».

Je vous propose de balayer quelques-unes de ces trouvailles, certaines ne datant pas d’hier !

Mercedes est prénom de la fille d’un homme d’affaires autrichien, grand amateur de course automobile (Emile Jellinek). Il baptise ainsi la voiture Daimler dont il est propriétaire à l’occasion d’une course automobile au début du XXe siècle. La dénomination est appréciée par le constructeur automobile qui l’adopte comme nom de la marque en 1902

Pour rester dans le domaine de l’automobile allemande, vous saurez que la marque Audi adoptée en 1909 par le constructeur August Horch a une origine latine. Audi signifie en effet « écoutez » soit « Horsch » en allemand. Il se trouve que c’est aussi l’acronyme de « Automobile Union Deutschland Industrie » mais ce serait pure coïncidence.

Le latin a inspiré d’autres industriels, même beaucoup plus lointains. C’est la proximité linguistique avec sonus (le son en latin) qui a poussé les Japonais, Masaru Ibuka et Akyo Morita, à choisir Sony comme nom de marque en 1958.

Au Japon encore, le fondateur de la firme automobile Toyota s’appelait en fait Kiichiro Toyoda. En idéogrammes, le mot Toyoda s’écrit avec dix coups de pinceaux, chiffre qui porte malheur au Japon. Pour Toyota, il n’en faut que huit et ce chiffre-là est de bon augure. Pour conjurer le sort, en 1937, Kiichiro Toyoda a donc légèrement modifié son nom et l’avant-dernière lettre, le « d » est devenu un « t » …

La transposition du nom du fondateur est évidemment très classique pour baptiser la marque. Mais derrière le créateur éponyme se cache parfois une histoire méconnue. Firestone est le nom de la marque de pneumatique fondée en 1900 par Harvey Firestone. Elle devrait s’appeler Feuerstein car c’est le nom de famille des ancêtres alsaciens du sieur Harvey Firestone. Ceux-ci, sont originaires de la petite ville de Berg dans le Bas-Rhin d’aujourd’hui. Ils avaient émigré en Amérique vers 1750 en anglicisant le leur patronyme.

Certains noms de famille sont plus dissimulés. Ainsi Adidas est-il la concentration de Adolphe Dassler. C’est en voulant se séparer de son frère Rudolf, également fabricant de chaussures, qu’Adolphe Dassler a adopté ce nom de marque en 1949. Son frère choisissait, de son côté, d’appeler Puma ses fabrications, après avoir songé à Ruda, une sorte de diminutif de son prénom. Il conserva les voyelles et opta pour un nom commun compréhensible en plusieurs langues. Le logo, en plus, était facile à trouver ! Les deux marques connurent un grand succès, preuve que les deux frères étaient doués…sauf pour l’entente !

Le troisième grand nom des équipements de sport, la marque Nike (1971), tire sa référence de la déesse grecque de la victoire (Niké). Les deux fondateurs, Philip Knight et Bill Bowerman avaient souhaité un nom plus offensif que la dénomination plate de « Blue ribbon sport ». En même temps, ils créent le célèbre logo en forme de virgule qui serait, paraît-il, le plus connu au monde.

Les patronymes jouent des tours à ceux qui les portent. C’est le cas quand on est scandinave. Ainsi Ingvar Kamprad, Elmtaryd Agunnaryd[1] est-il imprononçable si vous n’êtes pas suédois de naissance. Si vous prenez les initiales, c’est mieux et c’est ce que fit en 1943 le fondateur de la marque IKEA.

Tout en étant scandinave aussi, vous pouvez avoir la chance d’habiter une ville au nom plus facile à prononcer. C’est ainsi que l’ingénieur des mines finlandais Fredrik Idestam baptise Nokia, du nom du lieu où son entreprise papetière est créée en 1871. L’entreprise se diversifiera dans le domaine de l’électricité puis dans celui du téléphone et de l’électronique en 1960.

Les abréviations peuvent avoir un succès de notoriété quand elles sont simples. Par exemple Nissan signifie tout bonnement Nippon Sangyo (industrie japonaise) nom de baptême de la firme fondée en 1934 et poursuivant la fabrication d’automobiles Datsun. Le logo Datsun venait des initiales des trois fondateurs (Den, Aoyama et Takeuchi) accolées à l’anglais sun (soleil).

Des sociétés optent souvent pour des noms phonétiquement mémorisables. Ainsi le premier magasin Auchan s’installe au quartier des Hauts-Champs à Roubaix en 1961. Son fondateur, Gérard Mulliez, simplifie le nom qui devient Auchan en recourant à la lettre « a » qui donne la garantie de figurer en tête des annuaires.

Les Trois-suisses sont fondés en 1932 par Xavier Toulemonde qui installe sa filature à Roubaix près d’un café tenu par un certain monsieur Suis qui avait trois filles…Vous devinez la suite. Le nombre trois doit porter bonheur aux entrepreneurs, car Mitsubishi signifie « trois diamants » en japonais et Samsung « trois étoiles » en coréen !

L’enseigne Carrefour prend ce nom en 1960 quand le premier supermarché créé par Marcel Fournier et son associé Defforey s’installe à Annecy au carrefour de deux avenues.

Häagen-Dazs a des allures scandinaves et pourtant ce sont deux immigrés polonais[2] installés à New-York qui lancent en 1961 leurs produits glacés à prétention artisanale sous deux noms d’emprunt de consonance vaguement danoise.

D’autres noms d’emprunt ont servi à baptiser de grandes entreprises. Par exemple, Dassault est le nom de résistance du général Paul Bloch, frère de Marcel Bloch, déjà avionneur en 1939 – 1940. De même la société Tesla n’a aucun lien direct avec l’entreprise. C’était un hommage que les fondateurs[3] de la société voulait adresser au grand inventeur serbe, naturalisé américain, Nikola Tesla.

L’Oreal tient son nom de baptême d’un chimiste de parents alsaciens installé à Paris, Eugène Schueller. Celui-ci crée en 1909 une teinture capillaire qu’il nomme « l’auréale » par référence à une coiffure féminine de l’époque : « l’auréole[4] ». Le terme sera simplifié en l’Oreal.

Les sociétés de conseil doivent faire preuve d’imagination et trouver des dénominations internationales « passe-partout ». C’est ainsi que, lorsque les repreneurs d’Arthur Andersen Consulting ont dû trouver un autre nom dans les années 1990, ils ont choisi Accenture, contraction d’accent on the future. De son côté, le nom Oracle est inspiré du nom de code d’un projet financé par la CIA, dont le cofondateur, Larry Ellison, faisait partie. Ce mot-symbole semble moderniste même si ses références remontent à l’antiquité.

La marque Danone doit son nom à Isaac Carasso qui mit au point en 1919 le premier yoghourt. Il s’agit du diminutif catalan de Daniel, le nom du fils de l’inventeur.

Pour Pepsi, c’est le pharmacien américain, Caleb Bradham, qui conçoit le produit en 1898 pour lutter contre la dyspepsie. Initialement, il avait songé à l’appeler Brad’s Drink, aurait-ce été plus populaire ?

Nos très modernes et envahissantes GAFAM et autres réseaux ou plateformes numériques ne s’embarrassent guère de recherches approfondies pour leur nom. Partant du principe que le globish s’impose à tous, elles adoptent des dénominations yankees (sauf Amazon). Nous devons avaler au risque d’indigestion : Facebook, WhatsApp, Google, Instagram, Twitter, YouTube. Ces marques n’ont rien pour évoquer spontanément ni ce qu’elles font ni ce qu’elles veulent paraître. Sans doute considèrent-elles que leur pouvoir d’attraction (ou d’addiction) est en lui-même suffisant pour les dispenser d’une image symbolique. Les marques chinoises doivent faire face à un autre défi qui est celui de la langue. Huawei, Lenovo, Xiaomi, Haier comptent sur leur suprématie commerciale pour apprivoiser et domestiquer le consommateur mondial. Certaines font exception comme Alibaba[5] ou Tik-tok[6] qui essaient de signifier quelque chose, en particulier pour nos oreilles occidentales. Elles ne sont pas loin de réussir leur épreuve de notoriété internationale, tout comme leurs consœurs aux patronymes asiatiques.

Moralité : il y a encore un bel avenir dans l’univers des marques, parfois plus pérennes que les entreprises originelles. On en a la preuve dans la survivance de certaines marques emblématiques en France malgré la disparition de l’entreprise créatrice du nom ou son rachat par un conglomérat international. C’est le cas par exemple de Lip ou Brandt, et surtout dans l’alimentaire : Lu, Maille, Saupiquet, Yoplait, etc. C’est un très florissant « second marché » de la marque qui a pour objet de conserver la clientèle et de capitaliser sur l’image passée. Il y aussi un cimetière des marques. Sans évoquer l’international, vous devez vous souvenir de ces marques françaises disparues : les enseignes Mammouth, Continent, Prisunic, les produits Banga, Pschitt, Olida, La Roche aux fées, sans oublier les marques automobiles SIMCA ou Panhard ou encore les fameuses piles Wonder. Certaines ressusciteront peut-être !

[1] Les deux premiers mots sont le prénom et le nom du fondateur, les deux suivants ceux de la ferme et du village où il a grandi.

[2] Reuben Mattus et son épouse Rose Vesel.

[3] Tesla Motors est fondée en 2003 à San Carlos par Martin Eberhard et Marc Tarpenning. Elon Musk, son actuel dirigeant, ne faisait pas partie de l’équipe initiale, il a été le principal financeur de la première levée de fonds en 2004.

[4] Dans une pièce en prose, Perte d’auréole, dans le Spleen de Paris, Baudelaire donne à penser que c’est aussi l’appellation d’un chapeau masculin, mais sans doute était-ce plutôt une allégorie, chère au poète.

[5] Alibaba a été fondée en 1999 par le chinois Jack Ma, ancien professeur d’anglais, pétri de culture internationale qui connaissait bien ce conte oriental. IL a curieusement disparu du paysage des affaires chinois en mai 2021. Réapparaîtra-t-il un jour ?

[6] Entreprise de réseau social lancée en septembre 2016. Elle est développée par l’entreprise chinoise ByteDance pour le marché non chinois. Son pendant pour le marché chinois porte le nom Douyin .

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP