Une conjecture est une propriété qui paraît vraie et qui peut être vérifiée dans un grand nombre d’occurrence sans qu’une démonstration rigoureuse puisse en être donnée – jusqu’à présent. Même si l’hypothèse s’énonce simplement, sa démonstration est souvent ardue. Elle résiste au temps et aux ardeurs de plusieurs générations d’experts ou de savants. Les mathématiciens raffolent de ces défis intellectuels. Au fil du temps[1] certains problèmes, simples d’apparence, ont été résolus par la négative comme la quadrature du cercle, la trisection d’un angle ou la duplication du cube. L’expression « quadrature du cercle » est même devenue proverbiale pour symboliser un problème insoluble. Mais d’autres hypothèses résistent à la démonstration et continuent à narguer les téméraires qui osent vouloir les dévoiler.

Les nombres premiers[2] sont une source de conjectures particulièrement nombreuses et d’autant plus exaspérantes pour un esprit mathématique qu’elles paraissent simples dans leur énoncé.

La conjecture de Fermat[3] énonce qu’il n’existe pas de nombres entiers positifs x, y et z tels que : xn+yn = zn, dès que n est un entier strictement supérieur à 2. Pour n=2, on a les solutions entières du théorème de Pythagore avec, le plus simple (3²+4²=5²), ou aussi (33²+56²=65²) plus long à vérifier. Une telle relation entre nombres entiers apparaît impossible pour un exposant supérieur à 2. Fermat prétendait avoir trouvé la démonstration[4]. Mais c’est 350 ans plus tard et au prix d’une construction très complexe et laborieuse, que le mathématicien anglais, Andrew Wiles, a fini par en établir, en 1994, la démonstration aujourd’hui admise et validée par ses pairs. À la fin, tout est bien qui finit bien puisque la conjecture est démontrée et devient le « théorème de Fermat-Wiles ».

Cela n’a pas été le sort de toutes les conjectures sur les nombres premiers. Pierre de Fermat émit l’hypothèse que les nombres de la forme [(2 à la puissance 2 puissance n) + 1] sont premiers. Malheureusement pour lui, pour n=5, la propriété est fausse car 232+1 n’est pas un nombre premier.

Deux autres conjectures sur les nombres premiers sont plus coriaces et non démontrées à ce jour. En premier lieu la conjecture de Golbach[5], datant de 1742. Elle s’énonce très simplement : tout nombre entier pair supérieur à 3 peut s’écrire comme la somme de deux nombres premiers. Par exemple 12 est la somme de 5 et 7, qui sont tous deux premiers.  De même, 100 est la somme de 83 et 17 ou de 71 et 29. La propriété est plus difficile à vérifier pour de très grands nombres mais elle n’a jamais été mise en défaut, ce qui en mathématique ne vaut pas démonstration pour autant. En 2014, les vérifications numériques de la conjecture ont été menés pour tous les entiers pairs jusqu’à 4.1018, (soit des nombres ayant jusqu’à 18 chiffres). Toutes les tentatives de démonstration ont échoué jusqu’à présent. En revanche, cela a inspiré nombre de romanciers, mathématiciens ou non. Ma préférence va au roman de Denis Guedj[6], Le Théorème du Perroquet. Il imagine un mathématicien qui réussit à démontrer la conjecture de Goldbach. Vivant au fin fond de l’Amazonie, il refuse de donner sa démonstration et se suicide en brûlant ses recherches. Mais il avait fait apprendre ladite démonstration par son perroquet. Celui-ci, après diverses péripéties, finit par se réfugier dans la forêt où, sans se lasser, il récite la démonstration aux autres animaux. Elle demeure ainsi inconnue des hommes. Belle fable, non ?

La conjecture de Polignac[7] est énoncée en 1849. La formulation initiale est la suivante : « tout nombre pair est égal à la différence de deux nombres premiers consécutifs d’une infinité de manières ». Par exemple, 30 = 4861 – 4831, qui sont deux nombres premiers consécutifs. En 2021, cette conjecture n’a encore été prouvée pour aucun nombre pair. Elle comporte des variantes comme la « conjoncture des nombres premiers jumeaux[8] » qui affirme qu’il existe une infinité de nombres premiers jumeaux : « il existe une infinité de nombres premiers p tels que p + 2 soit aussi premier ». Bien que la plupart des chercheurs en théorie des nombres pensent que cette conjecture est vraie, elle n’a jamais été démontrée.

Il existe de nombreuses autres conjectures dans le domaine mathématique. Elles font parfois l’objet de concours qu’affrontent avec ardeur les scientifiques. Le mathématicien David Hilbert est fameux pour avoir, en 1900, énoncé   23 problèmes à résoudre au cours du siècle.  5 restent non résolus, 3 ne le sont que partiellement et 2 sont considérés comme indécidables (vrais ou faux).

 

Mais, en nous échappant un instant des mathématiques, il y a une conjecture lancinante pour nous tous : celle de l’existence de Dieu. De nombreux théologiens ont cru pouvoir en administrer la démonstration, en vain.  Inversement tous les athées qui ont voulu démontrer le contraire ont échoué à en apporter la preuve irréfutable. Il se pourrait aussi que cette question entre dans la catégorie des problèmes « indécidables », ce qui réjouirait les agnostiques ! D’autant qu’il faut s’entendre sur ce que l’on désigne par « Dieu ». Si c’est un « Dieu » à l’image des hommes, « super-héros » ou à l’instar des dieux de l’Olympe, la cause est entendue, la réponse est négative (du moins en ce qui me concerne) et ne mérite guère d’investigations. Si l’on décide d’appeler Dieu ce qui dépasse notre connaissance et qui rend compte de tout ce que nous ne pouvons comprendre ni même connaître, la question reste ouverte. Car, par définition, nous ne pourrons jamais connaître ce qui est inconnaissable… je vous laisse méditer cette question simple…un peu tautologique quand même, je le concède.

[1] Ces conjectures ont tarabusté depuis l’Antiquité les savants épris de géométrie. La question est de savoir si, avec une règle (non graduée) et un compas, on peut construire un carré de surface égale à celle d’un disque. Peut-on, de même découper en trois angles égaux un angle donné ? Peut-on construire, de même, un cube de volume double d’un cube donné ? Toutes ces hypothèses se sont avérées erronées.

[2] On appelle ainsi les nombres entiers qui n’ont pour diviseurs qu’eux-mêmes et le nombre 1,

[3] Pierre de Fermat (vers 1605 – 1665), magistrat mais surtout mathématicien hors pair, entretint une correspondance, parfois polémique, avec Descartes. Il apparaît, entre autres, comme le fondateur du calcul différentiel.

[4] « J’en ai découvert une démonstration véritablement merveilleuse que cette marge est trop étroite pour contenir » écrit-il en marge d’un ouvrage qu’il a annoté.

[5] Christian Goldbach (1690 – 1764), né à Koenigsberg, fut précepteur du tsar Pierre II, Il rencontra au cours de ses nombreux voyages tous les grands mathématiciens de son temps (Leibniz, Euler, Bernoulli).

[6] Denis Guedj (1940 – 2010) fut professeur d’histoire des sciences, journaliste et romancier à ses heures.

[7] Alphonse Armand Charles, prince de Polignac, (1826 – 1863) fut polytechnicien. Il fit carrière dans l’armée comme officier d’artillerie jusqu’à sa mort à 37 ans. Il fut aussi historien, musicien, poète et mathématicien. Dans ce dernier domaine, il s’est plus particulièrement intéressé aux nombres premiers.

[8] Deux nombres premiers sont appelés jumeaux lorsque leur différence est égale à deux (elle ne peut pas être inférieure puisqu’un nombre premier est impair et que le nombre suivant, pair, ne peut être premier)

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP