Un marteau, une hache, une truelle ou une lime sont des objets toujours connus de nos jours, même si le citadin en use moins que ses ancêtres ruraux. Mais naguère – ou, plutôt, jadis – les artisans avaient trouvé des noms plus suggestifs pour certains de leurs outils. À l’heure du retour à la nature et de la glorification de la biodiversité, il me semblait opportun de ressusciter certaines de ces appellations imagées, parfois oubliées sauf pour quelques spécialistes et amateurs de brocantes.

Les animaux mentionnés ne faisaient pas toujours partie de l’environnement familier des artisans concernés. Ainsi le crocodile, qui ne hantait guère les campagnes ni les villes françaises, était pourtant le nom utilisé par les mécaniciens pour désigner une clé ou par les tailleurs de pierre pour nommer une scie pour pierre tendre. Pourquoi : la forme de l’objet, sans doute ? La cheville-de-singe était utilisée par le charpentier pour fixer les dernières pièces de l’assemblage.  Les bucherons avaient l’imagination fertile pour désigner certaines de leurs haches à la forme explicite. Ainsi une aile-d’oie désignait-elle une hache à large lame et une épaule-de-mouton celle dont la forme rappelait l’organe en question. Tout aussi figuratifs, la queue-de-rat ou le pied-de-biche, respectivement une lime ronde ou un arrache-clou, avaient bien le physique de l’emploi. Ce dernier pied n’est pas à confondre avec le pied-de-chèvre qui peut être un petit levier avec des extrémités taillées en biseau ou, d’un tout autre volume, une échelle à un seul montant utilisée notamment dans l’Est pour la cueillette des cerises !

Les organes animaux ont inspiré diverses corporations. La langue-de-chat désigne une petite truelle de maçon de forme très étroite. Pour les tailleurs de pierre, c’est une tarière pour forer la pierre. La langue-d’aspic est une mèche pour forer le métal. La langue-de-carpe est un ciseau de serrurier, mais aussi un foret pour percer le métal, tout comme la pioche du cantonnier pour les ballasts du chemin de fer. L’analogie formelle avec une langue de cyprinidé prête à discussion mais c’est ainsi.

La gueule, la queue, le bec ou d’autres organes constituent autant de sources d’inspiration. Le zingueur utilise une griffe qui permet de marquer profondément la tôle afin d’en faciliter ensuite la rupture par des mouvements de pliage. Une peau-de-chien-de-mer[1] était un abrasif utilisé par le menuisier pour polir le bois, avant l’invention du papier de verre. En fumisterie, la gueule-de-loup servait à couder les tuyaux de fumée. La gueule-de-crapaud est une truelle de mouleur au sable. La queue-de-cochon peut désigner une cheville de forme hélicoïdale ou un extracteur de vis cassée. Le bec-d’âne (parfois contracté en « bédane »), est un ciseau à lame étroite, utilisé par le charpentier ou le menuisier, pour creuser des mortaises. Le bec-de-canard est une pince dont les branches plates rappellent la forme du bec du palmipède éponyme. À ne pas confondre avec le bec-de-cane qui n’est pas un outil mais un élément de serrure. Le bec-de-chien sert à couper le verre avant son refroidissement.

Parfois c’est l’animal tout entier qui désigne l’outil. J’ai déjà évoqué le crocodile. La sauterelle, en forme de compas, est l’instrument des charpentiers et des menuisiers permettant de reporter un angle donné. Le rossignol désigne la fausse clé ou la clé provisoire des serruriers. L’herminette, dont la forme recourbée rappelle le museau de l’hermine, est une hachette servant à travailler le bois, avec un tranchant dans le plan orthogonal du manche. Le hérisson est quasiment l’emblème du ramoneur et mérite bien son nom. Le furet du plombier va déboucher les tuyaux comme son éponyme débusque les terriers. Je n’oublie pas le blaireau du barbier, mieux parfumé que son homologue animal. La marmotte est un outil de cordonnier ou de sellier. D’une manière plus générale, elle peut aussi désigner la sacoche dans laquelle l’artisan transporte son équipement d’outils divers. L’oiseau du maçon lui permettait de transporter sur le dos une charge de mortier à monter dans les étages (on se demande bien pourquoi un tel nom ?). La rainette des charpentiers ne ressemble guère à une grenouille, elle sert à marquer les assemblages des bois, pour les identifier au moment du montage. De leur côté, le maréchal-ferrant et le forgeron utilisent des écrevisses pour manipuler les pièces rougies au feu. Est-ce la couleur ou les tenailles qui ont suscité cette appellation ? le chien du tonnelier est un engin permettant de faire levier sur une douelle en s’appuyant sur la voisine pour placer un brin de jonc ou pour écarter une douelle afin d’encastrer le fond.

S’agissant des noms d’outils, il y aurait encore beaucoup à ajouter parmi les vieux termes qui, rien qu’à être prononcés, résonnent comme si on les entendait s’actionner. De doloire à varlope, taraud, archet, mordache, trusquin, cochoir, utinet, bigorne, bouterolle ou pointerolle, que de métier, de savoir-faire et de perfectionnement séculaire de génération en génération. Nos modernes outils si performants auront-ils la même longévité sémantique et sauront-ils faire rêver nos enfants et petits-enfants comme nous-mêmes devant leurs prédécesseurs ancestraux[2] ?

[1] Le terme « chien de mer » désignait autrefois la roussette ou l’aiguillat, petit requin côtier.

[2] Ceux qui veulent rêver plus encore que l’auteur de ce billet peuvent aller faire un saut à Troyes à la Maison de l’outil et de la pensée ouvrière, gérée par les Compagnons du devoir, qui détient une collection d’outils fabuleuse, remarquablement mise en valeur.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP