Cette famille, que beaucoup croient d’origine auvergnate, est en fait champenoise, issue de Troyes[1]. On trouve un Nicolas Michelin, marchand tanneur au XVIe siècle. Les cinq générations suivantes sont également troyennes et font fortune dans la tannerie. Les Michelin occupent souvent des fonctions d’édiles locaux et de responsables de la communauté des tanneurs de la ville. Sous Louis XIV, Edmé Michelin (né à Troyes en 1644), marchand tanneur vient s’installer à Paris. Son fils, Jean-Baptiste Michelin (1678 – 1751), reste marchand tanneur, bourgeois de Paris au quartier Saint-Médard. Son petit-fils, Jean Michelin (1700 – 1782), va chercher à entrer en noblesse par la « planche à vilain », c’est-à-dire en achetant une charge anoblissante que ses moyens financiers autorisent. Il devient « conseiller du roi », « commissaire aux revues de la connétablie et maréchaussée de France » en 1727 puis « commissaire des guerres » en 1738. Il est qualifié d’écuyer sur tous les actes à partir de 1732. Il achète un domaine à Montgeron en 1747. Il se marie en 1730 à Paris avec Marie Moreau (1704-1782), fille d’un conseiller du roi, lieutenant du maire de Compiègne.

Leur fils, Louis Michelin (1738 – 1794) est dédormais bien établi dans la petite noblesse de robe, qui vit ses derniers grands moments avant la Révolution. Conseiller du roi, notaire au Châtelet, Louis Michelin se marie le 12 janvier 1779 à Paris avec Marie-Thérèse Wattiaux (1755-1825), fille d’un maître orfèvre. Ils auront cinq fils et une fille, dont André-François Michelin (1783-1848) marié le 26 septembre 1808 avec Marie-Françoise Chambry (1788-1876). Le couple aura, à son tour, huit enfants dont Jules Michelin (Paris 1817 – Limoges 1870). Ce dernier est officiellement receveur des douanes mais il s’adonne aux arts : peintre, dessinateur, graveur, aquafortiste. Jules Michelin parcourt toute la France, il se rend aussi à Rome et en Angleterre. Deux régions françaises ont sa préférence : le cœur du Massif central — tant l’Auvergne que le Limousin, dont il apprécie les paysages vigoureux — et l’Île-de-France. Il fut le graveur attitré de Camille Corot. Mais, au-delà de sa carrière d’artiste, son rôle dans l’orientation industrielle de la famille Michelin tient à son mariage avec Adèle Barbier (1829-1898). Celle-ci hérite en effet d’une fabrique de caoutchouc à Clermont-Ferrand, fondée par son grand-père, Aristide Barbier. Il s’agissait alors d’une entreprise de fabrication de machine et d’outillage en caoutchouc (tuyaux et courroies de frein de charrettes).

Jules Michelin et Adèle Barbier ont deux fils et une fille. Les deux garçons, Edouard et André, seront les fondateurs de « Michelin et Compagnie » en 1889. Edouard Michelin (1859 – 1940) est d’abord élève de l’école des Beaux-Arts de Paris, il tente une carrière d’artiste-peintre comme son père, avant d’être appelé par sa famille à redresser l’entreprise familiale de caoutchouc à Clermont-Ferrand. Il se passionne pour cette nouvelle activité. En 1891, il invente le pneumatique démontable pour les bicyclettes, système qu’il adapte à l’automobile en 1894. C’est le père du célèbre Bibendum Michelin qui décore des millions de véhicules dans le monde et suit chaque année les coureurs du Tour de France. Les frères Michelin sont les créateurs des guides et cartes Michelin. Le premier guide rouge sort en 1900. Entre 1910 et 1913, Michelin réalise la couverture entière de la France au 200 000ème. La carte n°1 couvre la région de Clermont, siège des usines Michelin. Elle est entièrement dessinée à la plume, chaque texte écrit à la main sur des feuilles de calque. Il faut faire des cartes, mais pas seulement. Les Michelin organisent en 1911 une pétition pour obtenir le bornage des routes, pétition qu’ils font signer par le Président de la république, Armand Fallières. En 1913, des circulaires officielles imposent bornage et signalisation. Les noms de villages apparaissent. Michelin sera le fournisseur exclusif, pendant longtemps, de ces bornes qui vont rendre lisible l’espace français. Le guide vert, essentiellement touristique, verra le jour en 1926 après la première guerre mondiale.

André Michelin (1853-1931), ingénieur de l’École centrale, est cofondateur avec son frère de la « compagnie de pneumatiques Michelin & associés ». André Michelin est par ailleurs membre de l’Aéro-club de France dès 1898. Son frère Edouard et lui contribuent à l’essor de l’aviation en créant notamment le Prix Michelin d’aviation et la Coupe Michelin internationale en 1908. André est Président de l’Aéro-Club de France (1919-1921), membre de l’Automobile Club de France et membre de la Société des ingénieurs civils de France. Mais on lui doit surtout l’invention en 1930 de la fameuse « micheline », devenue en son temps le synonyme d’autorail. C’est son fils Marcel qui en assurera le développement et la promotion après sa mort. André Michelin avait pour objectif d’améliorer le confort des trains de voyageurs. Pour ce faire il fit mettre au point un pneumatique creux spécial, capable de rouler sur la surface de roulement réduite d’un rail et de franchir les aiguillages. Ce « pneurail » sera par la suite réalisé avec une structure métallique plus résistante et connaîtra un grand succès et des tentatives infructueuses d’imitation, notamment par la firme Dunlop.

Les fils d’Edouard poursuivent la tradition familiale mais décèdent jeunes, à 34 ans, l’un dans un accident d’avion pour Etienne Michelin (1898 – 1932) et dans un accident d’auto pour Pierre Michelin (1903 – 1937). C’est la génération suivante qui reprit le flambeau avec François Michelin (1926 – 2015), fils d’Etienne. Le 28 mai 1955, il est nommé cogérant des « Établissements Michelin » aux côtés du patron Robert Puiseux, gendre d’Édouard Michelin, et d’Émile Durin, cogérant depuis 1951. En 1959, François Michelin devient seul gérant de l’entreprise et véritable patron, avec Émile Durin comme cogérant jusqu’en 1962. Il appellera ensuite à ses côtés comme cogérants son cousin germain François Rollier (1915-1992) en 1966 puis René Zingraff en 1986. Sous la direction de François Michelin s’est développé le « pneu radial », véritable révolution technologique qui permettra au Groupe de devenir le premier fabricant mondial de pneumatiques en 1979. Il poursuivra également la conquête du marché américain (entamée en 1907 avec la construction d’une première usine) en rachetant dans les années 1980, le manufacturier Uniroyal Goodrich (UGTC). François Michelin dirigera également Citroën, propriété du groupe auvergnat depuis 1934 et qui le restera jusqu’à sa vente au groupe Peugeot en 1976. La marque automobile lance dans les années 1950 et dans les années 1970 les modèles Citroën DS et Citroën SM, qui connaîtront un succès commercial. Toute sa vie, François Michelin roulera en Citroën et restera fidèle au « made in France ». Ses équipes de recherche, où Michelin investira 2 fois plus en moyenne que les autres grandes entreprises françaises, seront à l’origine des pneus du Concorde, mais aussi des brevets et innovations liés entre autres aux suspensions hydractives et aux phares tournants Citroën. En plus des nombreux brevets déposés de 1955 à 1999, François Michelin aura à cœur de protéger les technologies « made in Michelin », faisant développer par ses équipes des machines de fabrication internes des pneumatiques. Michelin emploiera plus de 43 000 personnes en France à son apogée dans les années 1970. Le secret imposé par François Michelin lui a ainsi permis de surprendre et de dépasser tous ses concurrents en maintenant une place de premier ou second mondial que le groupe a toujours préservée depuis 1979.

François Michelin aura six enfants de son mariage avec Bernadette Montagne. Deux d’entre eux seront prêtre et religieuse, c’est Edouard Michelin (1963 – 2006), centralien, qui reprend le flambeau industriel en 1999 des mains de son père. Dès sa prise de fonction, Édouard Michelin provoque une polémique en annonçant des bénéfices en hausse de 20 % en même temps que la suppression de 7 500 postes en Europe. L’expression de « licenciement boursier » est largement employée par les commentateurs. Cette maladresse va cependant renforcer la détermination et l’engagement social d’Édouard Michelin. Pour la première fois dans l’histoire de l’entreprise, il ouvre des négociations sociales, négocie la mise en place des 35 heures, met en place un plan d’actionnariat salarié. Parallèlement, il ouvre des usines en Chine, aux États-Unis, en Russie, en Amérique latine et en Inde. On lui doit également le retour de la firme en « Formule 1 ». Il se marie en 1992 avec Cécile Gravier. Ils auront six enfants. Mais Edouard meurt noyé le 26 mai 2006 dans le naufrage d’un bateau de pêche, nommé Liberté, au large de l’île de Sein, à l’âge de 42 ans. Sa femme Cécile décède à son tour en 2011 à 44 ans d’un cancer.

Au décès de son fils, François Michelin n’a plus la force de reprendre les rênes du Groupe et c’est Michel Rollier qui est appelé à le remplacer. Il sera d’ailleurs le dernier membre de la famille à assurer la cogérance du Groupe, avant de la transmettre à Jean-Dominique Senard qui l’exercera de 2012 à 2019.

D’autres membres de la famille Michelin restent actionnaires du groupe et certains continuent à y exercer des responsabilités opérationnelles. Dans les branches qui s’illustrèrent à d’autres types que la gestion industrielle, il convient de mentionner les descendants d’André Michelin. Son petit-fils, Daniel (1915 – 2005), fut architecte ainsi que deux des fils de ce dernier (Jean et Nicolas). On doit en particulier à Daniel Michelin la construction de l’église Saint-Marcel, boulevard de l’Hôpital à Paris et de grands ensembles à Epinay-sur-Seine et Saint-Gratien. En même temps, il était violoncelliste, alpiniste et pépiniériste de talent. Un fils d’André, Marcel (1886 – 1945), le développeur de la « micheline », est mort en déportation. Ses trois fils s’engagèrent dans la Royal Air Force ou la France Libre. L’un deux, Jean-Pierre (1918 – 1943), trouva la mort près de Porto-Vecchio, lors de la l’insurrection de la Corse contre l’occupant, en novembre 1943.

Un grand chemin parcouru depuis les tanneries du vieux Troyes, mais une soif de créer, d’innover, de progresser et de construire, au propre et au figuré ! Des entrepreneurs au plein sens du terme.

[1] Comme un pied de nez de l’histoire industrielle, on trouve aujourd’hui une usine Michelin à Troyes, la Chapelle-Saint-Luc, (sous l’enseigne Kléber jusqu’en 2011) spécialisée dans les pneus agricoles.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP