Nous utilisons tous des symboles mathématiques, bien commodes dans la vie courante. Certains signes se prononcent conformément à leur signification (+) se dit « plus » ou (x) se prononce « multiplié par ». En y réfléchissant bien on aurait pu strictement inverser le sens de ces deux signes qui ne sont que des croix. La barre de fraction (/) ou le signe (=) nous parlent sans ambiguïté, alors qu’au Moyen Âge nos ancêtres n’en auraient pas compris le sens. Il n’y avait aucun symbole dans les travaux d’Euclide pas davantage que dans les premiers livres d’algèbre arabes. La description d’une équation du second degré nécessitait une série de périphrases que nous comprendrions mal aujourd’hui et qui ne facilitait pas non plus l’accès aux documents des contemporains eux-mêmes.

La curiosité m’a amené à chercher les créateurs de ces symboles ou du moins ceux à qui l’on en prête l’invention. Comme vous le verrez, c’est parfois surprenant et inattendu ! Comme je ne vise pas l’exhaustivité, je vous laisse le soin de compléter, si bon vous semble.

Tout d’abord, regardons ces symboles essentiels que sont les chiffres. Jusqu’au Moyen Âge on a utilisé les chiffres « romains » correspondant à des lettres. Cette écriture – n’en déplaise à certains conservateurs de musée post-modernes – reste l’usage pour le décompte des siècles, la numérotation des monarques, le millésime des années sur les monuments et l’indication des heures sur les cadrans de certaines horloges ou montres. Mais ce dispositif encodé est peu efficace pour les manipulations arithmétiques. La numération décimale de position est en revanche très performante pour les calculs.

Dans la plupart des pays, on utilise des signes spécifiques appelés, chez nous, « chiffres arabes » alors que les Arabes parlent des « chiffres indiens ». La plus ancienne apparition d’une utilisation positionnelle des chiffres se trouve en effet en Inde et date de 595. À cette époque, l’usage d’une notation positionnelle décimale se transmet, Elle est connue et mentionnée au Moyen Orient par un évêque syriaque dès le VIIe siècle. Dans ce contexte, au début du IXe siècle, le savant ouzbek Al-Khwarizmi[1] décrit les notations indiennes dans un ouvrage qui a depuis été perdu. Aux alentours de l’an mil, Gerbert d’Aurillac, le futur pape Sylvestre II, découvre la science arabe dans les abbayes catalanes. Devenu pape en 999, il essaie d’introduire son outil de calcul, « l’abaque de Gerbert », au sein de la chrétienté, mais son entreprise est mise à mal par l’opposition des clercs, attachés à la tradition. Vers la fin du XIe siècle, avec les territoires repris aux Arabes en Espagne, les Chrétiens découvrent des manuscrits scientifiques. Tolède, reconquise en 1085, devient, sous l’impulsion de son évêque, le principal centre de traduction d’œuvres arabes en latin, et le Liber Algorismi de numero Indorum (Livre d’Al-Khwarizmi sur les chiffres indiens) y est traduit. Au cours du XIIIe siècle, les « chiffres arabes » commencent à s’enseigner dans les écoles de comptabilité en Italie. Les derniers vétos ecclésiastiques concernant l’utilisation du nouveau système sont levés au XVe siècle. Toutefois, jusqu’à la fin du siècle, le principe de la numération décimale de position nécessite d’être expliqué. Il ne s’impose définitivement en France qu’à la fin du XVIIIe siècle avec la Révolution.

Poursuivons par les signes et les notations algébriques. Ce n’est qu’en 1575 que le symbole égal (=) fait son apparition dans The Whetstone of Witte, un recueil de mathématiques écrit par le physicien gallois Robert Recorde. À l’époque, le but était surtout d’éviter la répétition des termes « est égal à », présents à plus de deux cents reprises dans les premières pages du livre. Robert Recorde a alors eu l’idée de créer un symbole, représenté par deux barres parallèles de tailles identiques, afin de remplacer ces quelques mots, « parce que rien ne pouvait être plus égal que ces deux barres ». Mais pourquoi les a-t-il inscrites horizontalement ? On aurait pu, tout aussi bien, avoir deux barres verticales « ll » ou obliques « // », « \\ » !

En 1489, les signes « + » et « – » apparaissent pour la première fois dans un ouvrage de l’Allemand Johannes Widmann, mais ils signifient alors un surplus ou un manque. Ce n’est qu’en 1514 que Gielis van der Hoecke utilise ces symboles pour représenter l’addition ou la soustraction. Et c’est l’Anglais William Oughtred (1574-1660) qui systématise cette écriture dans Clavis Mathematicae, édité en 1631. Le symbole « x » de la multiplication est également l’œuvre du même William Oughtred, qui a inventé plus de cent cinquante symboles au cours de sa vie. On lui doit aussi le symbole «  » (presqu’égal à). La notation des divisions avec le symbole d’une barre horizontale qui sépare le numérateur du dénominateur nous provient des Arabes. Leibniz a tenté en vain de la remplacer par deux points « : ».

L’écriture de la multiplication d’un nombre par lui-même « n » fois (la puissance énième) a été proposée sous forme d’exposant par Nicolas Chuquet au 15ème siècle mais ne sera généralisé que bien plus tard. Ce docteur en médecine français écrivit en 1484 un traité, Triparty en la science des nombres, portant sur les équations polynomiales, les radicaux et l’arithmétique commerciale, remarquable par la précision du langage et du symbolisme utilisé.

Le symbole de produit « ∏ » a été introduit par René Descartes et repris par Gauss en 1812. Le symbole de somme « ∑ » a été employé la première fois par Leonhard Euler en 1755. Ce symbole a aussi été employé par Lagrange, mais sa généralisation fut lente. Dans les deux cas, c’est la lettre grecque correspondant à l’initiale de produit et de somme, qui est employée

Christoff Rudolff (1499-1545), un mathématicien allemand, fut le premier à utiliser le symbole du radical « √ » pour la racine carrée dans un ouvrage imprimé en 1525 à Strasbourg. L’origine du symbole viendrait d’une déformation de R, la première lettre du mot latin radix qui signifie « racine ». C’est René Descartes qui ajouta la barre horizontale (vinculum) au symbole de Christoff dans son ouvrage La Géométrie, publié en 1637.

Le symbole de l’infini «  » est introduit par le mathématicien britannique John Wallis en 1655. L’origine même du symbole est controversée. Pour certains historiens des sciences, c’est la déformation de l’écriture latine du nombre « mille » qui, avant d’être « M », avait pu être « CIƆ ». Pour d’autres, c’est proche de la lettre grecque « ω » qui a toujours signifié métaphoriquement la fin (« d’alpha à oméga »). Enfin, certains pensent que c’est la tradition indienne désignant le « serpent infini » de Vishnu, enroulé sur lui-même.

Venons-en aux « constantes », couramment utilisées en mathématiques et en physique surtout.

La notation « π » n’apparaît qu’en 1647. Elle est due à l’anglais William Oughtred, déjà cité précédemment, qui l’utilise pour nommer le périmètre d’un cercle. Le nombre d’Euler « e », noté ainsi par ledit mathématicien, n’est pas un hommage narcissique de l’auteur, au demeurant réputé pour sa modestie. Mais Euler avait l’habitude de dénommer les constantes par des lettres et, comme a, b, d étaient déjà souvent utilisées, il est passé à la lettre « e ». Pour d’autres, « e » est la première lettre (en latin aussi) du terme « exponentiel ». Le paradoxe est que le « nombre d’Euler » était connu avant la naissance de l’intéressé et devrait en fait s’appeler le « nombre de Napier ». Ce dernier (Napier ou Néper) est en effet le premier à en donner la définition : le nombre dont le logarithme népérien est égal à l’unité ! On prête au même Euler l’usage d’écrire « i » pour désigner le nombre « imaginaire » dont le carré est égal à (-1). En fait il semble qu’il ait plus explicitement écrit et que ce soit Gauss qui ait généralisé l’écriture (plus courte, il est vrai) « i ».

Le nombre d’or[2], proportion idéale, bien connue des architectes de l’Antiquité, est souvent noté « φ » comme l’initiale grecque de Phidias. Mais c’est une notation récente datant du XXe siècle dont l’usage prévaut aujourd’hui sans que l’on sache très bien qui l’a utilisée en premier.

Etonnante l’origine du choix par l’auteur lui-même de la lettre « h » pour désigner la constante de Planck. On aurait pu s’attendre à « P » ou « Pk » car personne ne conteste qu’elle soit due à Max Planck. Pour le savant, la désignation de cette constante fut un « acte de désespoir ». Il était convaincu du caractère ondulatoire de la lumière mais il observait que certains phénomènes (comme le rayonnement du corps noir) supposaient des « paquets » d’énergie comme si la lumière était composée de particules. Il introduisit alors – la mort dans l’âme- cette constante qui rendait bien compte des phénomènes corpusculaires mais qui le laissait profondément insatisfait. Et il la baptisa « h » comme la première lettre du mot allemand Hilfe : au secours !

Plus classiques sont les écritures de « c » pour la vitesse de la lumière (c comme célérité) et de g » pour la constante de gravitation (« g » comme gravité).

Quelques expressions courantes s’inspirent d’une étymologie grecque ou latine, langues pratiquées par les « savants » des siècles passés. Le terme « sinus », cher aux lycéens, peut avoir diverses origines. Selon certains, sinus proviendrait de semi inscripta (décrivant en latin le segment de corde « semi inscrit » dans l’arc de cercle correspondant) abrégé en s.-ins, prononcé par euphonie sinus. Autre version : corde se traduit en arabe par jiba, proche de jais (pli ou sein) qui se traduit en latin par sinus. A votre choix ! Quant à « cosinus », cela n’a rien à voir avec le savant des albums de Tintin mais dérive simplement de sinus auquel il est (« co ») associé.

Le terme « logarithme » est dû au mathématicien écossais Neper (ou Napier) qui publie, en 1614, son Mirifici logarithmorum canonis descriptio. Il invente le mot à partir des racines grecques qui décrivent au mieux sa création mathématique : (arithmos = nombre, logos = raison, rapport).

Sans doute par paresse, mais aussi par simplicité, nous avons toujours raffolé d’abréviations ou de sigles. Pas étonnant donc que notre écriture courante en porte la marque et continue à s’enrichir de symboles nouveaux. L’informatique et le développement d’Internet nous en ont fourni une récente illustration avec le succès de « l’arobase » « @ ». C’est un peu une résurrection car le nom et le symbole étaient déjà connus des commerçants méditerranéens de la fin du Moyen Âge qui en faisaient usage pour désigner le prix des denrées. @ étant une forme d’abréviation de la préposition latine « ad », soit « à » en français. Le fameux signe #, que les anglomanes s’obstinent à prononcer « hashtag » et qu’on devrait tout aussi bien qualifier de « dièse », connaît aussi un grand succès médiatique. L’origine médiévale du symbole « dièse » reste floue. L’une des hypothèses serait l’abréviation du mot « numéro » sous la forme d’un N majuscule barré. La barre descendante du N et celle indiquant la fin du mot se seraient progressivement alignées au point de se confondre avec les lignes de la portée. La seconde aventure du signe # s’engage dans les années 1960 sur le champ de la téléphonie. Le premier téléphone à touches voit le jour en novembre 1963, composé de 10 touches dont un # qui se trouve popularisé par Internet et les réseaux sociaux.

Nul doute que nos descendants connaîtront encore de nouveaux sigles venant s’ajouter aux lettres de notre alphabet dit « latin » et à nos chiffres dits « arabes ». Les « émoticônes » en sont peut-être les prémices. C’est à se demander si nous n’allons pas nous rapprocher des écritures en idéogrammes de nos amis asiatiques pendant qu’eux simplifient et « syllabisent » en partie leur écriture !

[1] La prononciation légèrement déformée de son nom donna naissance au mot « algorithme ».

[2] Le nombre d’or est défini comme le rapport a/b entre deux longueurs a et b telles que le rapport de la somme (a + b) des deux longueurs sur la plus grande soit égal à celui de la plus grande sur la plus petite. Soit φ=a/b=(a+b)/a. Ce nombre irrationnel est l’unique solution positive de l’équation x2 = x + 1.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP