Les expressions toutes faites ou les formules adverbiales sont légion en français. Certaines sont passées de mode mais étaient encore très courantes il y a un siècle à peine. Je trouve que certaines mériteraient une réhabilitation tant pour leur côté concret que pour la cocasserie de leur formulation. Comme vous le verrez leur sens peut nous échapper à première lecture mais ce n’en est que plus savoureux. À vous de juger (et d’en ajouter[1]).
Avoir les pieds nickelés. Cela n’a rien avoir avec le métal éponyme. En fait il s’agit du vieux mot « niclé » qui signifiait noueux, mal formé. L’expression veut donc dire : refuser d’agir, être paresseux.
Aller au congre sans crochet se comprend assez bien : entreprendre un projet sans s’en être donné les moyens.
Brider la bécasse est plus obscur car on voit mal comment procéder. C’est la « bécasse » qui est la clé sous l’acception péjorative de dupe et de victime. L’expression s’emploie pour signifier : piéger et pousser une personne à faire une action contre son gré.
Brider l’âne par la queue, c’est évidemment mal s’y prendre aussi bien au propre qu’au figuré.
Tourner la truie au foin a aussi une origine campagnarde. Les vrais paysans savent que les truies nourrissent peu d’intérêt pour le foin mais qu’on peut tenter. La formule s’emploie lorsque l’on veut détourner une conversation et éluder une question embarrassante.
Avoir du foin dans ses bottes ne se comprend plus guère puisqu’on ne fait plus cela. Autrefois, c’était un signe de confort et donc, avoir du foin dans ses bottes, c’était avoir des réserves confortables et des ressources pour l’avenir.
Avoir une sauterelle dans la poitrine était synonyme de l’expression, tout aussi loufoque et encore couramment employée, avoir une araignée dans le plafond.
Faire d’une mouche un éléphant n’a guère besoin de traduction. Il s’agit d’exagérer une faute légère ou de se vexer trop facilement pour une broutille.
Entendre bien chat sans dire minon est une jolie expression, presque poétique, exprimant une compréhension à demi-mot, en quelque sorte le contraire d’appeler un chat un chat.
Donner son paquet à quelqu’un peut avoir divers sens. Le plus courant est « donner congé à un employé ». Au figuré, cela peut signifier « charger quelqu’un d’accusations mensongères et parfois ordurières ».
Acheter chat en poche nous laisse dans la gent féline. La poche est le mot provincial signifiant le sac. Si le chat est dissimulé, c’est qu’on ne le voit pas et donc qu’on achète sans voir, en toute confiance. Faire attention quand même si c’est un chat d’occasion !
La fête passée, adieu le saint ou la soif passée, adieu le vin. Morale populaire, quand la fête est finie, il faut passer à autre chose et on oublie vite ce qui nous a procuré du plaisir.
Le moine répond comme l’abbé chante traduit le fait que les subordonnés se comportent comme leurs supérieurs et s’autorisent de l’exemple pour justifier leurs actions, si condamnables soient-elles.
Le ciel s’est habillé, ce soir, en Scaramouche[2]. J’aime bien l’image de cet alexandrin : le ciel est noir (comme l’habit de Scaramouche, si vous l’aviez oublié) et sans étoiles.
Faire un repas de brebis, c’est manger sans boire mais j’avoue ne pas trop savoir pourquoi parce que les ovins n’ont rien des camélidés (qui, eux-mêmes, boivent peu souvent mais beaucoup en une seule fois)
La barbe ne fait pas le philosophe pas plus que l’habit ne fait pas le moine ne méritent commentaires.
Faire la carpe pâmée ressemble à faire des yeux de merlan frit mais avec une pâmoison feinte en prime.
Tirer les châtaignes du puits a strictement la même signification que tirer les marrons du feu et n’est sans doute guère plus facile !
Bailler le lièvre par l’oreille ne se devine pas (de mon point de vue). Cela consiste à duper par de fausses promesses ou donner pour reprendre aussitôt. Il faut dire qu’il est dorénavant assez peu courant de pratiquer ainsi … avec un lièvre vivant.
Connaître mouches en lait, qu’aimait dire François Villon ou François Rabelais, tombe sous l’évidence et nous dirions aujourd’hui : crever les yeux ou couler de source.
Erreur n’est pas compte s’interprète de deux manières quasi-contradictoire. Soit, une erreur n’est pas définitive, il reste possible de corriger. Soit, une imperfection, si légère soit-elle, empêche un compte d’être correct. Choisissez celle que vous préférez.
Mains froides, cœur chaud. L’expression est utilisée pour décrire une personne d’apparence distante mais dissimulant gentillesse et générosité dans ses sentiments. Il peut s’y glisser une connotation amoureuse aussi : les mains froides peuvent cacher une passion brûlante.
Ces expressions fleuries et imagées sont autant de saynètes de la vie d’antan souvent rurale, images parlantes de la vie de nos ancêtres. Je leur trouve une saveur rafraichissante qui nous fait tant défaut aujourd’hui. Je ne saurais trop vous suggérer d’en faire usage à nouveau, d’autant que vos interlocuteurs, intrigués, finiront par vous remercier d’élargir leur horizon lexical et proverbial. Vous contribuerez à la biodiversité des dictons et au retour à la nature. C’est peut-être archaïque mais c’est aussi écolo (d’ailleurs les deux termes sont synonymes) !
[1] Les amateurs liront avec plaisir un petit recueil réédité par la Libraire Larousse : Connaissez-vous vraiment le sens des expressions fleuries de nos grands-mères ? mai 2019.
[2] C’est un vers de Molière dans Le Sicilien, ou l’Amour peintre, pièce méconnue, créé en 1667.
–
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP