Le personnage cumulant ces caractéristiques se nomme François-Ferdinand de Géramb. Il est né le 14 janvier 1772 à Lyon. Son père, issu d’une famille anoblie venue de Hongrie, s’était installé comme négociant dans la soie à Lyon. Sa mère, Marie-Madeleine La Sausse, provenait d’une vieille famille d’Auvergne. Obligé par la Révolution de quitter Lyon avec sa famille, en septembre 1790, François-Ferdinand entra à l’académie militaire de Vienne en Autriche. Il en sortit en 1793 avec le brevet d’officier de cavalerie. Il prit part à tous les combats que l’Autriche livra contre la France, se signala surtout à la bataille de Hohenlinden et au siège d’Ulm où, à la tête de huit cents cavaliers, il parvint à traverser la ligne française de front. L’empereur d’Autriche le nomma en 1806 colonel, chevalier de Malte et chambellan. Il atteignit le rang de lieutenant-général dans l’armée autrichienne. En 1805, Ferdinand de Geramb établit un corps franc à Vienne contre Napoléon 1er.

Au mois de novembre 1807, le baron de Géramb quitta la cour de Vienne pour aller en Sicile chercher un climat plus favorable à la santé de sa femme. Marie-Caroline d’Autriche, reine de Sicile, l’attacha à sa Cour en qualité de chambellan et lui confia une mission des plus délicates en Angleterre, toujours contre la France impériale. De retour à Vienne en 1809, Geramb commanda un régiment autrichien lors de la bataille de Wagram. En 1810, il s’embarqua pour Cadix comme volontaire pour combattre les Français en Espagne. Il trouva la ville en état de siège et reçut le brevet de général. Dans une des premières sorties des assiégés, son cheval fut tué et lui-même grièvement blessé. Aussitôt qu’il fut remis, la junte de Cadix l’envoya en Angleterre pour y recruter un corps de volontaires. À Londres, le général diplomate fit appel à l’opinion publique mais dissipa en prodigalités insensées les crédits qui lui avaient été alloués par la junte espagnole.

Afin d’échapper aux poursuites de ses créanciers, il s’embarqua pour le Danemark en janvier 1812. Mais le gouvernement danois, allié de Napoléon, le fait arrêter et conduire à Hambourg[1] où trois gendarmes français se saisirent de lui. Tombé entre les mains de son principal adversaire depuis 15 ans, il est enfermé au donjon de Vincennes. Il y passera deux années de captivité jusqu’à l’abdication de Napoléon 1er. Mais surtout il y fera la connaissance de deux prélats : Étienne Antoine Boulogne, évêque de Troyes, et le père Francesco Fontana. Ces deux dignitaires ecclésiastiques, proches du pape, s’étaient opposés à Napoléon et à sa politique à l’égard du souverain pontife exilé et « prisonnier » en France. Le militaire romanesque et aventurier aura son chemin de Damas dans les geôles de Vincennes.

Une fois libéré, pendant qu’il était à Lyon pour assister aux derniers moments de sa mère, Géramb apprit qu’une nouvelle Trappe allait se fonder dans la Mayenne : l’abbaye Notre-Dame-du-Port-du-Salut, près de Laval. Le 5 janvier 1816, le baron de Géramb, revêtu du brillant costume de général, fit pompeusement son entrée dans le monastère du Port-du-Salut. Il prit l’habit religieux, prononça ses vœux perpétuels et devint le père Marie-Joseph, en avril 1817. Il occupa différentes fonctions au sein de la congrégation : barbier, peintre, vitrier, frère hôtelier, architecte. Malgré sa bonne volonté manifeste, il s’acquitta souvent fort mal de ces tâches diverses. Ainsi la voûte du chœur construite selon ses plans ne manqua pas de s’écrouler avant son achèvement. Il quitta finalement le couvent du Port-Salut, au bout de dix ans en janvier 1827, et entreprit un séjour dans différentes abbayes cistercienne ainsi qu’un pèlerinage en Terre-Sainte. Enfin en 1837, il se rendit à Rome et sut gagner les bonnes grâces de Grégoire XVI, qui le nomma abbé in partibus et procureur de la Trappe auprès de la Cour pontificale. À toutes ses anciennes décorations, le moine ajouta donc les insignes abbatiaux, l’anneau et la croix pectorale qu’il aimait à produire dans les salons de l’aristocratie romaine. Il ne quitta sa résidence que pour venir, en 1838 et 1840, assister au chapitre général de la Grande-Trappe, près de Mortagne-au-Perche.

Il mourut à Rome le 15 mars 1848, emportant avec lui une image controversée liée aux importantes sommes d’argent qu’il utilisait à des fins mystérieuses. Un temps, il fut réputé faire des miracles. Il publia plusieurs ouvrages consacrés à des sujets théologiques. Il est piquant de savoir que son séjour au donjon de Vincennes fut l’occasion de sa conversion à la vie religieuse, une vertu que l’on ne pouvait soupçonner a priori[2]

[1] Alors chef-lieu du département français des Bouches-de-l’Elbe.

[2] Sa biographie détaillée a été réalisée par Auguste-Marie-Pierre Ingold, Oratorien, historien, (1852-1923) qui reçut en 1923 le prix de l’Académie française pour son ouvrage : Général et trappiste. Le Père Marie-Joseph, baron de Géramb.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP