On aurait pu penser que le terme confinement avait été créé spécialement pour illustrer notre situation durant la pandémie coronavirale. Il n’en est rien. Confinement a une étymologie simple, « cum » et « finis », ce qui signifie mot à mot « avoir la même frontière », c’est-à-dire partager un « enfermement », soit bien l’acception qu’on lui donne depuis dix-huit mois.

Déjà attesté à la fin du Moyen Âge, le mot a été déniché par les physiciens, il y a presqu’un demi-siècle, à propos des « quarks ». Un tout petit peu d’histoire des sciences de la matière pour vous rafraichir la mémoire sur ces petites choses. L’idée lancée par Démocrite que les plus petits éléments de la matière, les « atomes », étaient insécables (comme leur nom l’indique) avait émoustillé les physiciens depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XIXe siècle. Mais, faute d’outils d’investigation à des échelles microscopiques, ils avaient dû en rester au stade des conjectures. Grâce aux chimistes anglais Dalton (1766 – 1844) et Thomson (1773 – 1852) puis la faveur des découvertes du physicien britannique Rutherford (1871 – 1937) aidé de son élève danois Niels Bohr (1885 – 1962), on en vint à ressusciter l’idée ancestrale de Démocrite. Mais, en même temps, on découvrait qu’il y avait plus petit que l’atome en identifiant de nouvelles particules le constituant (électron, proton et neutron). À l’image d’un système planétaire, le modèle était alors un nuage d’électrons en orbite autour d’un noyau composé de protons et de neutrons étroitement soudés. La mécanique quantique a respecté cette hiérarchie mais elle a bouleversé la représentation, qui n’est plus celle d’un système planétaire mais celle d’un nuage d’électrons de localisation « aléatoire » et de niveaux d’énergie « quantifiés ». Le physicien autrichien Erwin Shrödinger (1887 – 1961, l’homme du chat) précise le modèle qui se stabilise temporairement aux alentours de 1930.

Mais on n’en est pas resté là. En 1964, les américains Murray Gell-Mann (1929 – 2019, prix Nobel en 1969) et George Zweig (né en 1937 et qui, lui, n’a pas reçu le prix Nobel) découvrirent indépendamment que des centaines de particules dont les protons et les neutrons, pouvaient être expliquées par des combinaisons de seulement trois éléments. Gell-Mann choisit le nom de « quarks[1] » pour les désigner. Ce n’est qu’au début des années 1970 que la réalité physique des quarks fut prouvée, et qu’ils accédèrent au rang de particules. Nous savons maintenant qu’il y a six sortes de quarks, qualifiés chacun d’une « saveur », preuve que la physique, ce n’est finalement que de la cuisine ! Ils furent baptisés, par ordre de masses croissantes : up, down, strange, charm, bottom et top. Les quarks possèdent également un autre nombre quantique les caractérisant que l’on a nommé « charge de couleur ». Un quark peut être « rouge », « vert » ou « bleu », dont la somme donne la couleur blanche comme à notre échelle. De plus, pour chacun de ces quarks, il y a un antiquark correspondant avec une « anti-couleur ». Mais vous allez me dire : le confinement dans tout ça ? J’y viens, patience !

Les quarks ont en fait une caractéristique comportementale bien à eux. Ils ne vivent que « confinés » ! C’est-à-dire que l’on ne saurait rencontrer un quark isolé. C’est en général un ménage à trois. Ainsi, les neutrons sont constitués de deux quarks down et d’un quark up, et les protons sont formés de deux quarks up et d’un quark down. Il existe aussi des assemblages de deux quarks : les « mésons ». D’autres regroupements de quarks, tels les « tétraquarks » formés de quatre quarks ou les « pentaquarks » avec cinq énergumènes, sont en principe possibles et auraient été observés en 2003 une première fois. En 2015, le CERN[2] a mis en évidence un pentaquark, confirmé en 2017. Enfin, le 5 juin 2019, le LHCb[3] publie la découverte de trois nouveaux états d’un même pentaquark. Gageons que, dans les prochaines années, nous aurons de nouvelles découvertes de ce type.

La caractéristique de ces particules est la brièveté de leur vie à l’état « libre », c’est de l’ordre de 10-23 seconde, soit un cent millième de milliardième de milliardième de seconde ! En fait, les quarks ne se plaisent que « confinés ». Leur cohésion est assurée par une force particulière (l’interaction nucléaire forte) qui, telle une glu, n’agit qu’à très courte distance et les maintient dans un état de confinement dont ne peut les faire sortit qu’au prix d’une énergie colossale. Et, même alors, ils s’empressent de retrouver des congénères pour reformer des ensembles de deux, trois, quatre ou cinq quarks. Ce confinement a une étrange propriété : plus les quarks sont proches, plus ils ont de liberté de mouvement. C’est un peu le métro aux heures de pointe à l’envers : plus vous êtes serrés, plus vous vous sentiriez libres ! Etrange mécanique quantique que nos mots ont tant de mal à décrire, ce qui perturbait beaucoup Einstein, dit-on. En restera-t-on là. Probablement pas. Certains imaginent que les quarks sont, eux-mêmes, un assemblage de particules encore plus petites (les « préons ») mais l’existence de ces nouvelles briques élémentaires n’a pas été prouvée aujourd’hui et reste fortement controversée. Cela donne le vertige, n’est-ce-pas !

Je tire trois leçons de cette petite histoire simplifiée (pardon aux physiciens de métier qui trouveront ma présentation trop simpliste) :

  • La physique est, moins que jamais, une science achevée. Cela rassurera tous ceux qui voudront se lancer dans cette voie, il y a encore plein de choses à découvrir pour comprendre l’univers. Prix Nobel garanti si vous trouver un « hexaquark » ! Comme dirait Jacques Perry-Salkow en forme de palindrome[4]: « Le bon élève rêve le Nobel ».
  • Les mots n’ont pas la même acception selon la discipline. Mais vous le saviez déjà, j’en suis sûr.
  • Enfin, lors du prochain confinement, déguisez-vous en quarks, et vous vivrez confinés et serrés…dans un monde savoureux, charmant et coloré…

[1] Ce mot fut inventé par James Joyce dans son roman Finnegans Wake. « Three quarks for Muster Mark ». Il s’agit d’un passage lié à l’histoire de Tristan et Yseult qui se déroule sur un bateau qui amène Yseult au roi Mark auquel elle est fiancée.

[2] Le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire, organe provisoire institué en 19521), est le plus grand centre de physique des particules du monde. Il se situe à quelques kilomètres de Genève, à cheval sur la frontière franco-suisse,

[3]L’expérience LHCb (Large Hadron Collider beauty) explore les légères différences qui existent entre matière et antimatière grâce à l’étude d’un type du « quark beauté ».

[4] Qui se lit dans les deux sens. Jacques Perry-Salkow en est l’un des grands spécialistes français.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP