Non, il ne s’agit pas d’un conte pour enfant où le jeune Pascal, déluré par ses copains d’école, remet en cause la version du père Noël racontée par ses parents. Les personnages de mon histoire se prénomment Blaise et Étienne, Pascal et Noël sont leurs noms respectifs. Blaise Pascal n’est pas à présenter. Jeune et brillant savant, surdoué dirait-on aujourd’hui. Il a 23 ans et, avant de penser avec ses amis jansénistes de Port-Royal, il s’intéresse à la physique. Il étudie plus particulièrement la pression atmosphérique, mise en évidence par l’Italien Torricelli quelques années plus tôt. Étienne Noël, quant à lui, est un révérend père jésuite renommé, alors âgé de 66 ans. Il a été le professeur de René Descartes[1], qui lui voue toujours une affectation marquée. En 1647, il est recteur du prestigieux collège de Clermont à Paris (qui n’est autre que l’ancêtre du collège devenu ensuite lycée Louis-le-Grand). Il bénéficie d’une grande renommée dans la communauté parisienne des savants de l’époque.

La polémique qui va les opposer pendant près de deux ans est relative au vide. Je fais appel à vos souvenirs de collège. Vous vous rappelez que la mise en évidence de la pression atmosphérique avec une colonne de mercure conduit à faire le vide dans le haut du tube, la colonne de mercure venant composer la pression de l’air. C’est l’interprétation de Pascal, toujours prévalente. Le différend qui sépare Pascal et Noël ne provient pas tant de la détermination de la pression atmosphérique que de la description du vide. Pour Pascal, il n’y a pas de doute. Pour le Jésuite c’est beaucoup plus difficile à admettre car, en application de la doctrine aristotélicienne héritée de l’enseignement théologique du Moyen Âge, « la nature a horreur du vide ». Le vide ne peut pas être. Un échange direct de lettres entre les deux savants, du 8 octobre 1647 à l’été 1648, en constitue le moment majeur. Dans sa première lettre à Pascal, le père Noël, comme scolastique, défend le « plein » et l’horreur du vide. Ces idées sont les dernières de la tradition aristotélicienne pure qu’il peut défendre sans passer pour absolument rétrograde car de nombreux scientifiques et philosophes partagent sa version et sont encore « plénistes[2] ». Mersenne hésite, Hobbes refuse le vide, Descartes aussi. Noël entend défendre que l’espace « vide en apparence », qui est dans le haut du tube, est bien un corps au sens d’Aristote, c’est-à-dire un composé, un mélange des quatre éléments (eau, air, feu, terre). Pour Pascal, malgré toutes les précautions oratoires dont il peut user, une chose est certaine, le vide existe bel et bien dans la nature. Cette vérité doit être défendue. De là, deux théories fausses qu’il doit combattre : la théorie aristotélicienne rabâchée et la théorie cartésienne[3] plus subtile mais niant également l’existence du vide. Pascal hésite à attaquer directement Descartes qui est au faîte de sa gloire et à l’apogée de son autorité sur le monde savant. Il préfère rompre le fer avec Noël, plus facile à pourfendre car ses arguments d’autorité sont vieillots et on peut se demander si, lui-même, y croit vraiment. Avec une ironie perfide, Pascal le complimente sur la forme de son raisonnement pour mieux l’accabler sur le fond : « Au reste, on ne peut vous refuser la gloire d’avoir soutenu la physique péripatéticienne[4] aussi bien qu’il est possible de le faire ; et je trouve que votre lettre n’est pas moins une marque de la faiblesse de l’opinion que vous défendez que de la vigueur de votre esprit. » Mais à aucun moment Pascal ne cite le nom de Descartes. Sans doute cherche-t-il à l’atteindre par ricochet.

En riposte, Noël engage la querelle sur le terrain théologique. En bon Jésuite, il établit une distinction habile entre le vide des géomètres et celui des physiciens. Le vide des géomètres serait une création de l’esprit, une pure abstraction, donc un concept « irréel ». Le vide des physiciens, lui, ne saurait exister car Aristote avait assuré que la lumière était liée nécessairement à une substance qui la soutient et la propage. Moralité : il n’y a ni vide géométrique ni vide physique, C.Q.F.D. Pour conclure, Noël feint de se rallier aux idées de son jeune détracteur, à l’exception de son interprétation essentielle… sur le vide ! : « Votre objection m’a fait quitter mes premières idées ; prêt à quitter ce qui est dans la présente contraire à vos sentiments, si vous m’en faites paraître le défaut. Vous m’avez extrêmement obligé par vos expériences, me confirmant en mes pensées, fort différentes de la plupart de celles qui s’enseignent aux écoles : il me semble qu’elles s’ajusteraient bien aux vôtres, excepté le vide, que je ne saurais encore goûter. » Admirer la réserve, je suis en désaccord, mais qui sait, je pourrais changer d’avis… Bel exemple de jésuitisme de haute volée !

L’échange direct entre Pascal et le père Noël s’arrêtera là. Noël ouvre pourtant à nouveau le feu de la polémique en publiant un petit opuscule en français, Le Plein du vide, qui doit beaucoup à son échange épistolaire avec Pascal. Un pas est franchi et la polémique se déplace sur le terrain mondain. C’est le père de Blaise Pascal, aussi prénommé Étienne, savant également, qui lui répondra. Et pendant plusieurs décennies, la cause semble entendue : le vide est vraiment vide ! Pascal a gagné.

Pourtant, à la fin du XIXe siècle le débat semble renaître car les théoriciens de la lumière, en tant que rayonnement électro-magnétique, ont besoin aussi d’un support pour l’acheminement de ces ondes. Ils le baptisent « éther ». De nouveaux débats renaissent jusqu’à ce que Einstein semble le résoudre au travers de la relativité générale et de l’universalité de la vitesse de la lumière quel que soit le repère physique dans laquelle on l’observe. L’éther s’évapore donc et Pascal semble de nouveau triompher. Mais Einstein introduit un bémol, certes l’éther n’existe pas » mais sa mise au point est pleine d’ambiguïté éristique : « un espace vide, c’est à dire un espace sans champ, n’existe pas ». Le débat finit par rebondir avec la physique quantique, qui définit le vide comme un état d’énergie minimale. Le vide reste le siège de matérialisations spontanées et fugaces de particules et de leurs antiparticules associées. Ces particules, qui s’annihilent presque immédiatement après leur création, sont dites « particules virtuelles » mais elles sont en nombre infini, n’attendant qu’une bouffée d’énergie pour se réveiller de leur hibernation apparente. Parmi elles, figure le fameux « boson de Higgs » responsable de la masse. Le vide serait donc très peuplé… Dans ce cadre, il devient possible de discuter de « l’énergie du vide ».

En définitive, et sans doute pour de mauvaises raisons, il se pourrait que le père Noël eût raison, n’en déplaise à Pascal. Le vide n’est pas vide puisqu’il est rempli de particules virtuelles !

[1] René Descartes fut élève au collège jésuite de La Flèche 1607 à 1614 et eut le père Noël comme repetitor philosophiæ en 1612.

[2] On appelle ainsi les partisans de la « matérialité » du vide se recommandant de la tradition aristotélicienne.

[3] Descartes introduit la notion de materia subtilis (matière subtile) qui, non perceptible, remplirait le haut du tube, « matière imperceptible, inouïe et inconnue à tous les sens ». Une façon de s’écarter des « plénistes » sans rejoindre pour autant les « vacuistes », tel Pascal.

[4] Péripatéticien et aristotélicien sont synonymes, moins au féminin !

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP