Les prophètes de malheur annonçant la fin prochaine du monde sont légion depuis belle lurette. Le désaveu permanent apporté par la perpétuation de ce monde, qui s’obstine à exister, ne les décourage nullement. Leur saint patron pourrait être saint Jean qui a ouvert le feu avec son Apocalypse biblique, tout en ayant l’habileté de ne pas dater l’échéance de sa prophétie. On sait aussi que l’an mil, en Occident, fut l’occasion de prévoir la fin du monde imminente dans un contexte également religieux. Le passage de l’an deux mil a stimulé des allusions prophétiques analogues. On se souvient entre autres de la prédiction de l’excentrique Paco Rabanne (qui disait avoir vécu mille vies antérieures !) annonçant l’anéantissement de Paris. Selon les prophéties de Nostradamus et ses propres « visions », la station spatiale Mir devait s’écraser sur la capitale et dans le Gers, lors de l’éclipse totale de soleil du 11 août 1999. C’est sa réputation qui s’est fracassée. Le couturier est devenu la risée de la France entière des semaines durant, à juste titre.

Aujourd’hui, les « collapsologues », « effondristes » et autres « survivalistes » sont à peine plus subtils. Leur profession de foi est dramatique. « L’effondrement est en cours […] nous vivons un cataclysme planétaire. Réchauffement climatique, diminution drastique des espaces de vie, effondrement de la biodiversité, pollution profonde des sols, de l’eau et de l’air, déforestation rapide : tous les indicateurs sont alarmants. Au rythme actuel, dans quelques décennies, il ne restera presque plus rien[1] ». Les adeptes de ce genre de discours se fondent pour l’essentiel sur un rapport vieux d’une cinquantaine ans, à la demande du club de Rome, le « rapport Meadows ». Cette étude pronostiquait en 1973 l’épuisement rapide des ressources énergétiques fossiles avant l’an 2000, la raréfaction des surfaces cultivables nouvelles alors que la population mondiale et la pollution continuent à progresser – du moins pour un certain temps. Repris et actualisé par différents auteurs[2], ce modèle continue à être la référence des penseurs de l’effondrement. Toutes les crises se cumuleraient et s’ajouteraient : crise politique, sociale, économique, culturelle et, pourrait-on ajouter depuis 2020, sanitaire. Cette théorie a immédiatement séduit les militants écologistes, au premier rang desquels figure l’ancien et éphémère ministre de l’environnement, Yves Cochet, professeur de mathématiques à l’origine.

Le plus surprenant est que, malgré un démenti par les faits, les prévisions continuent bon train et nos Cassandre ne se lassent jamais. La liste des catastrophes annoncées et non advenues commence à être impressionnante, mais rien n’y fait. Toute nouvelle prédiction rencontre « un public », prêt à y croire. Ceci mérite un court rappel de ces « bévues ».

En juillet 2017, Pablo Servigne, qui se définit comme « in-Terre-dépendant », estimait au micro de la RTBF que l’effondrement était « très probable avant 2020, et sûr avant 2030 ». Ouf, nous avons passé la première étape… c’est de bon augure pour la seconde.

Al Gore, qui a surfé sur la vague du succès de son film catastrophe et dont le prix Nobel de la paix fait partie des moins mérités, a voulu ajouter sa pierre aux mauvaises nouvelles. Avec sérieux et aplomb, il annonce doctement en 2007 que la banquise arctique disparaîtra l’été sept ans plus tard. L’échéance est passée, certes la banquise en question a régressé et ne se porte pas bien mais elle est toujours là l’été.

En 1962, Rachel Carson[3] , une célèbre biologiste marine et écologiste américaine, dénonçant à juste titre l’abus de pesticides, ne peut s’empêcher de noircir le tableau. Elle annonce que, vingt ans plus tard, les oiseaux auront disparu des airs terrestres. Mais ni en 1982, ni en 2002 ni probablement pas davantage en 2022, les oiseaux n’ont et n’auront disparu. Entendons-nous bien : elle avait raison de dénoncer l’usage excessif et les effets nocifs du DTT mais son alarmisme était étayé par des prévisions erronées qui fragilisent sa thèse. Malheureusement pour elle, emportée par un cancer dès 1964, elle n’a pas été en mesure de rectifier ses appréciations.

Encore invérifiable, la prophétie d’Yves Cochet déjà cité plus haut. Réfugié en Bretagne pour se préparer à l’effondrement, le collaspsologue patenté nous explique que la fin du monde tel que nous le connaissons est pour (très) bientôt : elle a commencé le 1er janvier 2020. D’après lui, « dans les trente années qui viennent, 50% de l’humanité va mourir ». Rendez-vous en 2050 pour faire les comptes !  Pour ne pas être en reste, les représentants du mouvement anarcho-écolo-socio-négationniste « Extinction Rebellion[4] » ne manquent pas une occasion d’affoler le bon peuple avec des déclarations millénaristes du genre : « des milliards de personnes vont mourir à court terme » (le « court » n’étant pas quantifié, mais il sera bref !) ou encore « nos enfants vont mourir dans les 10 à 20 ans à venir ».

Bien entendu la pandémie de coronavirus a regonflé l’ardeur prophétique de nombreux catastrophistes. Cela peut aller du « je-vous-l’avais-bien-dit » au « pire-est-encore-à-venir ». Le « monde d’après » se prête merveilleusement à l’exercice, étant, par définition, inconnu sauf aux yeux des experts en vaticination.

Les économistes ne sont pas davantage à l’abri de prédictions alarmistes, plus catastrophiques pour leur propre crédibilité que pour la planète. Et, malheureusement, ils inspirent souvent des décisions politiques erronées par des annonces prématurées et une mauvaise prise en compte des échéances. On sait le glissement régulier de la date du « pic pétrolier[5] ». Mathématiquement cet événement aura bien lieu mais sans doute beaucoup plus tard qu’il n’était envisagé initialement. J’ai déjà cité le rapport Meadows de 1972 qui prévoyait l’épuisement des réserves de pétrole et de gaz pour le début du XXI siècle. Il n’en a rien été même si, évidemment, ces réserves sont largement entamées mais la découverte de nouveaux gisements ou de nouvelles ressources n’avait pas été anticipée.

Cette myopie ne date pas d’hier. Au début de l’ère industrielle, en 1869, William Stanley Jevons[6], économiste très écouté du Premier ministre britannique de l’époque, annonce l’effondrement de la société anglaise par manque de charbon… un siècle plus tard. Il suit le même raisonnement que celui du révérend Malthus[7], quelques décennies plus tôt. Selon une image classique, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». Une croissance géométrique, même avec un taux faible, aboutit toujours à des chiffres faramineux si elle ne s’infléchit pas.  On sait ce qu’il en a été ! Moins connus, d’autres spécialistes s’inquiètent régulièrement de l’épuisement des réserves de minerais. Saint-Saëns, outre ses talents de musicien, était également astronome, biologiste, mathématicien et économiste. En 1913, il écrit : « Nous manquerons de fer dans soixante ans […] Que les savants se mettent à l’œuvre ! S’ils ne trouvent rien, notre civilisation est perdue […] Après avoir étonné le monde et parue indescriptible, (elle) se serait écroulée en ne laissant que des ruines[8]. » On fait difficilement plus apocalyptique… tout cela parce qu’on pourrait manquer de fer ! On soupire de soulagement : les « savants » ont trouvé entretemps le plastique …qui cause d’autres soucis et engendre de nouvelles visions apocalyptiques sur l’envahissement des océans par les déchets plastiques !

Finalement rien ne permet de penser que cette « veine » apocalyptique soit près de s’éteindre, bien au contraire, aidée par le courant démago-complotiste, elle semble près de s’étendre ! C’est à croire que ces peurs récurrentes sont nécessaires au bon fonctionnement de la société : un historien[9] a recensé 183 annonces de fin du monde depuis la chute de l’Empire romain et, sans doute, certaines ont pu lui échapper ! Dramatiser l’avenir est une façon de l’exorciser. Plutôt que d’imaginer le futur, on préfère le détruire. Cela dispense de chercher à le rendre meilleur. Au fond, c’est fuir ses responsabilités.

[1] 200 personnalités réunies par l’actrice Juliette Binoche et l’astrophysicien Aurélien Barrau signent un appel pour sauver la planète au début du mois de septembre 2018

[2] Le scientifique australien Graham Turner, l’ingénieur russo-américain Dimitry Orlov et le géographe américain Jared Diamond.

[3] Elle est connue pour avoir publié en 1962 Silent Spring (Printemps silencieux), qui mettait en cause certains pesticides dangereux pour les oiseaux et pour l’homme.

[4] J’ai conservé le sabir globish dans lequel se complaît cette secte, plus active en terre anglo-saxonne que chez nous – jusqu’à présent.

[5] Souvent dénommé « peak oil » par ceux qui veulent faire croire qu’ils connaissent le Texas, le terme désigne le moment où l’extraction mondiale de pétrole aura atteint son niveau maximal avant de décliner.

[6]Economiste et logicien britannique (1835 – 1882) considéré comme le cofondateur avec Walras de l’école néoclassique en économie politique.

[7] Thomas Malthus (1766 – 1834), est un économiste britannique de l’école classique, également prêtre anglican. Il laissa son nom au « malthusianisme ».

[8] Saint-Saëns dans École buissonnière, Pierre Lafitte & Cie, 1913.

[9]Luc Mary, historien des sciences, auteur du Mythe de la fin du monde, de l’Antiquité à 2012 (ed. Trajectoire, 2009).

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP