Les crises sévères et les sujets récurrents finissent toujours par conduire à des extrémismes de pensée. Ces excès, loin de clarifier le débat, nuisent à leurs auteurs et n’aident guère à traiter correctement les questions. Nous en avons l’illustration criante avec le coronavirus depuis mars 2020. Au-delà de la majorité qui cherche simplement à comprendre et à agir au mieux, deux catégories se distinguent, notamment par leur vocifération. D’une part les emphatiques de la catastrophe, prophètes de malheur, prêcheurs de l’apocalypse et du grand changement que résume leur slogan lancinant et exaspérant : « le monde d’après ne sera pas le monde d’hier ». De l’autre côté, les apôtres du déni, laudateurs du laissez-faire sanitaire, minimiseurs de l’épidémie et amplificateurs de la crise économique. Ils veulent, coûte que coûte, faire comme si de rien n’était, quitte à en payer le prix fort pour eux-mêmes (n’est-ce pas Boris) ou pour leur pays (n’est-ce pas Donald). Il est encore trop tôt pour dresser le bilan tant sanitaire qu’économique ou politique mais gageons qu’il donnera lieu à des gloses intéressantes.
Cette situation rappelle, avec des positionnements souvent analogues, l’attitude face au dérèglement climatique. D’un côté, les convertis à la cause rabâchent à longueur d’antenne que le bouleversement catastrophique attendu a déjà commencé. Même parfois, ils nous annoncent qu’il est trop tard pour agir, ce qui – avouons-le – est profondément démobilisateur. De l’autre côté, les sceptiques professent, avec des arguments recyclés, qu’il n’en est rien et que tout cela est monté de toutes pièces par les précédents. De chaque côté une égale mauvaise foi, habillé de prétendues preuves scientifiques irrécusables aussi bien pour une chose que pour son contraire. Le vulgum pecus, simplement épris du désir de comprendre, ne sait à quel saint se vouer. Dans le doute, il adhère à la thèse du conformisme ambiant dominant, à savoir : le changement climatique est à l’œuvre et il faut « sauver » la planète de ce changement. Les climato-sceptiques, minoritaires, ne sont guère plus crédibles car leur attitude est souvent dictée par des intérêts commerciaux ou des alibis idéologiques marqués. Chaque clan a ses savants affidés qui détestent cordialement ceux de l’autre bord mais qui se nourrissent également des subsides que chaque camp déverse pour défendre ses positions. Cette situation est faite pour perdurer avec un avantage numérique donné pour l’instant aux « catastrophistes ».
Revenons maintenant à la crise sanitaire ambiante qui conduit à un clivage interprétatif similaire. Il s’agit bien de deux « chapelles », prêtes à s’excommunier mutuellement. Les tenants du « monde nouveau d’après » se recrutent parmi les fervents d’un changement de société. Ce peut être une conversion politique, idéologique, économique, environnementale ou simplement comportementale. Pour ces enthousiastes de la remise en cause à tout prix, le coronavirus est une « chance inespérée » d’essayer de concrétiser rapidement leurs espoirs utopiques de toujours. Ils se livrent à une réécriture complète des événements qui ne sont, disent-ils, que ce qu’ils avaient prédits de longue date. Tout y passe : la culpabilité de l’homme qui n’a pas respecté la nature, le capitalisme prédateur et son cortège de délocalisation, l’appât du profit, l’imprévoyance récurrente des gouvernements, etc. Peu importe que certains aspects soient contradictoires, ils sont occultés ou passés sous silence. Les masques « jetables » (et jetés dans la nature) sont un moindre mal que les masques recyclables et lavables qui consomment de l’eau et des détergents pour être lessivés ! Le plastique vilipendé est réhabilité dans certains de ses usages comme les visières de protection ou les « hygiaphones » oubliés des décennies passées. Les postures partisanes sont réactivées. Haro sur l’automobile et l’avion, vive les modes de transport « doux » comme la marche à pied et le vélo ! On crée des pistes cyclables « provisoires » avec l’arrière-pensée, à peine déguisée, de les pérenniser. On se frotte les mains de la déconfiture des industries manufacturières de l’aéronautique et de l’automobile. Mais on versera une larme de crocodile sur les emplois perdus et condamnés qu’on fait payer au contribuable public.
Quant à ceux de l’autre bord, l’international nous fournit quelques figures emblématiques : des États-Unis au Brésil, sans oublier non plus la Russie et quelques autres. Mais nous avons en France, nos propres prêcheurs, déconfineurs à tout crin, obsédés de la reprise économique à tout prix. Les victimes du coronavirus ne les inquiètent guère, ils soutiennent que, de toutes façons, elles seraient bien mortes un jour, peut-être un peu plus tard mais qui sait ! En gros, sur le plan sanitaire, une grippe à peine exceptionnelle, traitée de manière hystérique par des pouvoirs publics affolés. Leur argument favori porte sur le coût prohibitif du ralentissement économique forcé. Qualitativement, l’argument est parfaitement recevable. On ne peut voir, sans inquiétude, l’endettement public – déjà excessif – progresser de près de 20% en un an. Le déficit public devient abyssal et la récession sera forte cette année. Certes, mais il faut reconnaître que notre société n’aurait pas toléré que, de manière délibérée, l’on doublât ou triplât le nombre de victimes pour le simple désir de ne pas entraver la marche normale de l’économie. C’était peut-être pensable il y a un siècle[1] mais plus aujourd’hui. Faut-il pour autant dramatiser à ce point la situation économique ? Probablement non ! La chute de la consommation de certains produits ou services va rebattre les cartes. Comme lors d’une tornade météorologique, certains arbres de la grande forêt économique vont être déracinés mais ceux qui subsisteront auront résisté à l’épreuve en témoignant de leur robustesse. Par ailleurs, même si certaines consommations ne se réitèrent pas (les spectacles, les hôtels et les restaurants), d’autres ne sont que différées (les équipements des ménages en particulier). Sans attendre un « effet rebond » gigantesque, on peut néanmoins escompter une reprise assez forte de la demande dans les secteurs concernés. Point n’est besoin de se livrer à des hypothèses douteuses ou à des comparaisons hasardeuses avec quelques pays étrangers pour expliquer que tout se serait mieux passé sans confinement et sans arrêt partiel de l’économie. Il serait plus judicieux de s’interroger sur les meilleures méthodes de « récupération », en dépassant l’alignement vertigineux des milliards d’euros dans une sorte de surenchère folle de celui qui va annoncer le plus gros chiffre.
En gros, les excès des deux côtés sont critiquables. Comme disaient déjà les Latins : « in medio stat virtus[2] » (la vertu gît au milieu).
[1] Ce fut effectivement le cas en 1918 – 1919, pendant l’épidémie de « grippe espagnole », quasiment ignorée du grand public de l’époque et sans incidence notable sur l’activité économique.
[2] Cette phrase proverbiale est souvent imputée au poète Horace qui professe cette même idée mais l’exprime plus subtilement : « virtus est medium vitiorum, et utimque reductum» (La vertu est un moyen terme entre deux vices et à mi-chemin des deux).
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP