C’est en effet la conception originale qu’adopta au XVIIIe siècle un certain Camille Constant de Mercourt, originaire de Besançon où il est né vers 1698. Cet homme tâta d’un peu tout : séminariste, soldat du roi de France, officier et conseiller du roi de Prusse, joueur et escroc, employé des fermes[1], grand séducteur puis mari rangé et dévot. Comment en vint-il à provoquer son enferment à la prison royale de Vincennes ? Voici les grands traits de son histoire bizarre et romanesque.
Son père, écuyer de petite noblesse, disposait de quelques moyens, il finança ses études et l’envoya au séminaire des Petits-Pères à Paris pour le préparer à un état ecclésiastique. Toutefois Camille de Mercourt renonça vite à la tonsure dans les bras d’une jeune parisienne qui le congédia dès que son pécule fut épuisé. Il vola cinquante louis à son beau-frère pour retourner à Besançon. Il se présenta humblement à l’archevêque de la ville, qui consentit à lui conférer un bénéfice mais cela n’eut qu’un temps car notre drille séduisit et engrossa la fille d’un apothicaire. Le scandale l’obligea à abandonner Besançon, sa famille et son bénéfice. Plein de bonnes résolutions, Camille s’engagea alors dans un régiment du Limousin. Il attira l’attention de son colonel par sa bonne conduite. C’est ainsi qu’il entra dans les bonnes grâces du marquis de Bissy doté d’une coquette jeune maitresse. Bientôt le marquis partagea sa table avec le jeune Mercourt qui, de son côté, partageait la couche de l’accorte dame. Celle-ci la partageait avec d’autres jeunes hommes, ce que finit par découvrir celui qui se croyait seul amant en titre. Il provoqua en duel l’un de ses rivaux et le blessa grièvement, ce qui l’obligea à quitter rapidement la maison de son hôte, oncle au demeurant de la victime.
De retour à Paris il risqua au jeu ce qui lui restait de fortune et perdit tout son argent. Sans le sou, il vendit pour dix-huit louis l’argenterie qu’un traiteur lui avait confiée pour un repas commandé. Cette escroquerie lui valut quatre ans de prison. Il s’échappa au bout de la troisième année et, plaidant l’erreur judiciaire, trouva un refuge accueillant auprès la marquise de Beaufremont, aussi compatissante que la maitresse de Bissy. La marquise le cacha un certain temps puis organisa sa fuite à l’étranger via sa propriété de Scey-sur-Saône en Franche-Comté. De là, notre homme fila en Prusse, s’engagea et monta rapidement en grade, devenant lieutenant en moins de trois mois, au grand dam de ses acolytes allemands. Sa réputation était cependant bien établie et le faisait redouter comme fin bretteur. Bien vu de ses chefs, il voulut se faire connaitre du roi lui-même. Ayant appris que ce dernier convoitait un beau Polonais pour sa garde personnelle et, sans doute, d’autres usages, Mercourt se lança dans une expédition en Pologne pour enlever ledit soldat et le conduire devant Frédéric. Ce dernier, charmé de cette action d’éclat, nomma Mercourt conseiller de guerre. Une belle carrière à la Cour de Prusse était donc promise à notre homme. Mais, une fois encore, il gâcha ses chances par sa conduite amoureuse. Il suborna la nièce du chancelier de Prusse. Une telle union était impensable et les deux tourtereaux cherchèrent à s’enfuir, d’autant que la dame était enceinte des œuvres de son amant. Mais les policiers prussiens les rattrapèrent avant qu’ils ne passent la frontière et enlevèrent la jeune femme.
Découragé, Mercourt alla à Avignon dans l’enclave des papes. Le vice-légat le prit sous sa protection et, indulgent et bon, l’incita à revenir dans le droit chemin. Ce discours convertit Camille qui épousa une demoiselle du monde et obtint, par la faveur de Monsieur Lenormant d’Etioles (mari officiel de la Pompadour), un emploi bien payé d’employé aux fermes du roi. Tout aurait pu se poursuivre sous les meilleurs auspices. Mais le sort s’acharna sur le pécheur repenti. Au bout de quelques années, Mercourt perdit sa femme, son emploi lors de la disgrâce de son protecteur et sa fortune lors d’une banqueroute.
Désespéré, tant par sa vie d’honnête homme que par son existence précédente d’aventurier et de filou, il lui vint une idée folle. Il gardait un souvenir quiet de sa vie matérielle insouciante lors de son séjour en prison. Il la compara à son existence présente difficile où il était forcé de chercher chaque jour son pain. Il écrivit alors au cardinal de Gesvres, l’archevêque de Beauvais, qu’il connaissait un peu. Dans sa lettre il affirmait que le ciel lui inspirait l’idée d’assassiner Louis XV et que, si on ne l’enfermait pas au plus tôt, il ne répondait de rien. Le courrier transmis au lieutenant général de police (Sartine) fit son effet et il reçut rapidement une lettre de cachet l’envoyant d’abord à la Bastille puis, le 14 juillet 1766, au donjon de Vincennes. Il se repentit rapidement de sa folle entreprise car il éprouva les inconvénients majeurs de la vie recluse malgré le gite et le couvert offerts. Il écrivit lettres sur lettres pour rétablir la vérité mais rien n’y fit. On l’oublia et il demeura captif pendant neuf ans. La profonde mélancolie qui l’accabla, conjuguée avec le sentiment d’avoir lui-même construit son malheur, le conduisirent au tombeau le 21 décembre 1775.
Un fabuliste aurait tiré une morale de cette bizarre aventure[2], du genre : il ne faut pas provoquer le destin, il se venge parfois cruellement ! Il se pourrait qu’en tous temps, d’autres que lui aient été tentés de chercher à être nourris, logés, blanchis aux dépens de la collectivité. Mais est-ce que la contrepartie, la privation de liberté, n’est pas trop cher payée ? À vous d’en juger.
[1] C’est-à-dire percepteur : sous l’ancien régime, la collecte des impôts était « affermée » et confiée à des financiers (les fermiers généraux).
[2] Ce récit, probablement romancé à la mode du XIXe siècle, est inspiré de l’ouvrage de MM. Alboize et Auguste Maquet, Histoire du donjon de Vincennes, 1844.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP