Vous pourriez prendre cette maxime pour la réflexion d’un vieux sceptique, désabusé et jouant les fortes têtes devant le discours de ses contemporains. Eh bien, détrompez-vous, cette devise est, depuis 1661, celle de la Royal Society de Londres, l’académie des sciences britannique qui fut notamment présidée par Newton. Cette recommandation vise à récuser les arguments d’autorité, c’est-à-dire les affirmations simplement étayées par la qualité et « l’autorité » de celui qui les professe. Ne croyez-vous pas que nous aurions rudement besoin de nous en inspirer par les temps qui courent ? Qu’observons-nous aujourd’hui ? Des journalistes qui se prennent pour des philosophes, des philosophes qui se prennent pour des scientifiques, des scientifiques qui se prennent pour des politiques et des politiques qui se prennent pour des journalistes ! Chacun se référant aux dires des autres ou aux siens propres.
Pourtant la réflexion n’est pas nouvelle. Bien avant les savants britanniques, le poète et moraliste romain Horace, ami de Virgile, énonçait cet aphorisme dans l’une de ses épitres[1] destinée à son bienfaiteur Mécène, il y a plus de vingt siècles.
Et pourtant il est bien tentant de croire quelqu’un sur parole. D’abord cela évite de réfléchir par soi-même. On pense par procuration, ou, plutôt, par délégation. Ensuite tout être humain a besoin de références. Comme c’est commode de pouvoir s’abriter derrière un rempart de certitudes face aux agressions du monde extérieur et des « autres ». Les maîtres de la Sorbonne au Moyen Âge en avaient bien vu l’avantage quand, dans une discussion difficile, ils se réfugiaient derrière le bouclier du « Aristoteles dixit[2]… ». Cet argument était supposé couper court à toute polémique puisque c’était la doctrine officielle : la pensée d’Aristote. Avec à peine plus de subtilité, nous ne sommes pas loin de raisonner comme cela sur certains sujets.
Ainsi le réchauffement climatique est la clé explicative de nos amis présentateurs (et …trices) de la météo et de moult militants ou journalistes convertis à la cause. La canicule, les tornades, la sècheresse …et même parfois, les vagues de froid… sont la conséquence décrétée du changement climatique, parce que le GIEC[3] et Greta Thunberg l’ont dit ! Contester, ou même s’interroger sur cette causalité systématique, est désormais assimilé au négationnisme le plus infamant. L’autorité est devenue « doxa ». On ne discute pas un axiome, on doit s’y soumettre et répéter son catéchisme sauf à encourir les foudres de l’excommunication de la bien-pensance, qui devient un prêt-à-penser obligatoire.
La crise du coronavirus a vu de semblables déclarations d’autorité, parfois fluctuantes et variables avec le temps : les masques ne servent à rien, les tests systématiques sont inutiles, le remède miracle existe, le confinement est indispensable, les masques sont utiles, les enfants sont contagieux, ils ne le sont pas, le confinement est inutile voire néfaste… Parfois ces assertions sont vaguement argumentées mais, le plus souvent, c’est l’argument d’autorité qui prévaut : c’est le comité Ad’hoc qui l’a écrit, c’est le professeur Tarlou qui le dit ou bien son adversaire le professeur Le Daifryss, à moins que ce ne soit l’ancienne ministre Bochalet ou l’ancien président Hellodan, etc. Heureusement certains essaient, de loin en loin, d’apporter quelques « preuves » de ce qu’ils affirment mais vous conviendrez avec moi qu’ils sont rares. De toute façon, la presse fait d’abord écho aux nouvelles sensationnelles, de préférence non vérifiées, et les politiques ne lisent que la presse ! Paradoxalement, les réseaux sociaux, qui devraient faciliter la vérification et la validation des informations, ne font qu’amplifier la prolifération des arguments d’autorité. De citation en citation, bien malin celui qui saura remonter à la source incertaine des bobards bombardés.
Evidemment il y a un gros inconvénient à ne croire personne sur parole, c’est de passer à côté d’une « vraie » vérité. Mais cette notion est désormais dépassée car, avec la « post-vérité », érigée en principe de gouvernement par certains dirigeants comme Donald Trump, distinguer le vrai du faux n’a plus guère d’importance. Il faut simplement savoir reconnaître la parole infaillible du maître à penser et le reste est décrété sans importance, nul et non avenu. C’est simple, non !
Horace, Newton, au secours !
[1] La phrase complète était : Nullius addictus judicare in verba magistri : « que nul ne défère à la parole d’un maître ».
[2] « Aristote l’a dit »
[3] Le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) est une organisation qui a été mise en place en 1988 à la demande du G7. Il examine et synthétise ce qui s’est publié dans la littérature scientifique sur la question de l’influence de l’homme sur le climat.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP