Il est des familles qui se transforment en dynastie tant leur image et leur profession semblent se transmettre imparablement de génération en génération. Les Gabriel[1] sont de ceux-là. Originaires de Normandie, d’Argentan plus précisément, on les voit évoluer de maître-maçon à architecte, l’un des plus célèbres d’entre eux finissant par devenir architecte du roi.

Le premier identifié de la lignée, le moins connu des archives, se nommait François Gabriel, maître-maçon à Argentan où il vécut entre 1540 et 1610 approximativement. Il est plus que probable que lui-même poursuivait le métier de plusieurs générations d’ancêtres. Ses travaux ne sont pas recensés et ne sont plus connus aujourd’hui. Il est vrai qu’à l’époque les maîtres-maçons ne « signaient » pas leurs œuvres et laissaient rarement leur nom associé à leurs ouvrages pour la postérité.

Ouvrons donc la liste de ses descendants qui continuèrent à gravir les marches de la célébrité jusqu’au sommet, durant les deux siècles suivants. Le prénom Jacques figurait dans les actes de baptêmes de la plupart d’entre eux, à tel point que, pour les distinguer, on leur a donné un numéro d’ordre, comme dans les dynasties royales ou princières.

 

Jacques Gabriel (vers 1570 – 1628)

Jacques Gabriel – dit Jacques I Gabriel – est maître-maçon, fils de François Gabriel, l’aïeul de la dynastie. Il est né à Argentan vers 1570 et décède probablement dans la même ville au tout début de 1628. Il est actif entre 1590 et 1610. Il s’est marié le 18 décembre 1600, à Argentan, avec Marie Duno. Ils auront quatre enfants dont deux seront architectes, Maurice et Jacques. Ses principales réalisations connues sont :

  • le château d’Avoisne, toujours debout, construit au début du XVIIe siècle dans l’Orne,
  • le clocher de l’église Saint-Pierre de Caen, restauré après avoir été fortement endommagé par une volée d’artillerie en 1563,
  • le chœur de l’église Saint-Germain et la restauration de l’église Saint-Martin d’Argentan (1568 – 1608),
  • l’ancien hôtel de ville de Rouen (1607).

 

Jacques Gabriel (1605 – 1662)

C’est le fils du précédent, qualifié de Jacques II Gabriel. Il est né également à Argentan où il est baptisé le 16 octobre 1605. Il décède probablement à Saint-Paterne-Racan (Indre-et-Loire) en 1662. Il se marie à Argentan vers 1628 avec Madeleine Abraham et épousera en secondes noces Anne Morillon vers 1645. Il reprend le métier de son père à Argentan.

Il est le maître d’œuvre du clocher de l’église Saint-Germain d’Argentan. Il est intervenu au château de Carrouges (dans l’Orne aujourd’hui) où il fait l’ordonnancement des jardins et y construit la chapelle en 1642. Le château de la Roche-Racan, que le poète Racan fait bâtir à Saint-Paterne au-dessus la vallée de l’Escotais à partir de 1634, a probablement été construit par Jacques II Gabriel. On trouve une citation datée du 24 novembre 1638 : « Jacques Gabriel, masson, demeurant à présent paroisse de Saint-Pater ». Jacques II Gabriel est qualifié de maître architecte en 1652.

 

Jacques Gabriel (1630 – 1686)

Également désigné sous le nom de Jacques IV Gabriel, il est à la fois maître maçon, entrepreneur et architecte. Jacques IV Gabriel, né du mariage de Jacques II Gabriel avec Madeleine Abraham, probablement vers 1630, est le premier de la famille Gabriel à quitter la Normandie pour venir tenter sa chance à Paris. Trois autres Gabriel, originaires d’Argentan, vont le suivre à la même époque, ses cousins, Jacques[2], Maurice et Jean, tous nés à Argentan. Rapidement, ils vont s’intégrer par leurs affaires et leurs mariages dans le réseau des maîtres-maçons parisiens. Le 14 juillet 1663, Jacques Gabriel se marie avec Marie Delisle, la nièce de François Mansart. Ce mariage fait de Jacques Gabriel le cousin par alliance de Jules Hardouin-Mansart, le premier architecte du roi. Jacques IV intervient comme entrepreneur sur les travaux du château de Versailles dès 1668. En plus du château de Versailles, il intervient, également comme entrepreneur, sur plusieurs chantiers parisiens : la manufacture des Gobelins, une partie du Palais royal, une partie l’hôtel de Condé. Il est aussi l’un des entrepreneurs du splendide château de Clagny à Versailles, maintenant détruit. Entre 1680 et 1686, à la demande de la Grande Mademoiselle, il conçoit et construit le château de Choisy-le-Roi.

 

Jacques Gabriel (1667 – 1742)

Également désigné sous le nom de Jacques V Gabriel, il est né en 1667 à Paris et mort le 23 avril 1742 dans la même ville. C’est l’apogée de la renommée et de la réussite de la famille. Jacques V Gabriel est reçu dès l’âge de 21 ans (en 1688) dans le corps des contrôleurs généraux des Bâtiments du roi. Deux ans plus tard, il est chargé d’accompagner Robert de Cotte, alors principal collaborateur de Mansart, pour un voyage de 18 mois en Italie. À son retour, il est reçu architecte ordinaire des Bâtiments du roi. Bon administrateur, il est admis comme membre de la première Académie royale d’architecture, formée par Mansart en 1699. Gabriel succéda à Robert de Cotte en tant que Premier Architecte du roi, en décembre 1734, et ne transmit cette charge qu’une fois que son fils, Ange-Jacques Gabriel, fut en mesure de lui succéder (en 1742, à sa mort).

L’œuvre architecturale de Gabriel à Paris a été énormément remaniée mais elle reste considérable. Il a achevé la construction du Palais Bourbon, ainsi que celle de l’Hôtel de Lassay (résidence actuelle du président de l’Assemblée Nationale). Il a dirigé la construction de l’Hôtel de Biron, de l’Hôtel de Varengeville et de plusieurs hôtels particuliers situés place Vendôme à Paris. En province on lui doit plusieurs édifices dont :

  • la reconstruction du château de Compiègne avec son fils Ange-Jacques Gabriel,
  • les façades de la place de la Bourse à Bordeaux avec son fils Ange-Jacques Gabriel, dont notamment l’hôtel des Fermes du Roi (1738), et le palais de la Bourse (1749),
  • Il continue l’œuvre de reconstruction de l’abbaye de Saint-Denis, qui fait aujourd’hui partie de la Maison d’Éducation de la Légion d’honneur de Saint-Denis,
  • la reconstruction de la place de la mairie et de l’hôtel de ville de Rennes.

 

Ange-Jacques Gabriel. (1698 – 1782)

C’est le digne successeur de son père, de célébrité comparable, à tel point qu’on les confond souvent, n’eut été le prénom supplémentaire d’Ange qui correspond bien aux manières su siècle des lumières. Premier Architecte du Roi, il est né à Paris rue Saint-Pierre, paroisse Saint Eustache, le 23 octobre 1698 et mort le 4 janvier 1782. Il épousa le 2 février 1728 à Paris, Catherine Angélique de la Motte dont il a eu deux fils, Ange-Antoine Gabriel (15 septembre 1735-7 août 1781), Ange-Charles Gabriel (29 juin 1738-après 1793), qui se fait appeler Gabriel de Saint-Charles, et une fille, Angélique Catherine Jeanne Gabriel (1732-1803).

Dès 1730, Ange-Jacques Gabriel remplace Robert de Cotte, presque aveugle, comme architecte du château de Versailles. En 1742, il devient Premier Architecte du roi et directeur de l’Académie royale d’architecture. Il jouit alors de la pleine confiance de Louis XV. À partir des années 1760 et dans les années 1770, Gabriel invente un décor plus sobre, inspiré de l’antique. L’opéra royal de Versailles (1765-1770), œuvre majeure de l’architecte, ou encore la bibliothèque de Louis XVI (1774) sont entièrement du nouveau style dit Louis XVI. Dans ce style, le chef-d’œuvre de Gabriel est incontestablement le Petit Trianon (1760-1764) à Versailles, destiné à Madame de Pompadour mais achevé après la mort de la marquise et dont la première occupante sera Marie-Antoinette. Il réalise la résidence royale du château de Compiègne et l’École militaire à Paris. Il aménage deux grandes places, celle de la Bourse à Bordeaux et la place Louis XV (actuelle place de la Concorde) à Paris.

Il existe une rue Gabriel à Versailles, située à proximité du château et une avenue Gabriel à Paris, longeant l’arrière de l’Elysée. Une allée Gabriel honore également sa mémoire à Choisy-le-Roi où le château construit par son grand-père a malheureusement disparu de nos jours.

 

Ange-Antoine Gabriel (1735 – 1781)

Le fils d’Ange-Gabriel fut également architecte. Ange-Antoine est né à Versailles le 15 septembre 1735, et mort à Vichy en 7 août 1781 (à 45 ans). Il est admis à concourir au grand prix de l’Académie d’architecture, où il obtient le troisième prix en 1760. Il est contrôleur des Bâtiments du roi au château de Marly entre 1761 et 1775. Il est admis architecte de la 2e classe de l’Académie royale d’architecture, en 1763, grâce à l’appui de son père. En 1769, Louis XV offre à sa maîtresse, Madame du Barry, le château de Louveciennes. Ange-Antoine Gabriel participe à sa modernisation. Il est mort en allant prendre les eaux à Vichy, en 1781, un an avant son père.

Avec lui s’éteint cette prodigieuse dynastie d’architectes partis de Normandie, qui illustrèrent les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Même si certains de leurs chefs-d’œuvre ont subi les vicissitudes du temps, reconnaissons que ce qu’il nous reste porte haut le renom de l’architecture française « classique ».

[1] Sources : G. Despierres, Les Gabriel, recherches sur les origines provinciales de ces architectes, Réunion des sociétés savantes des départements à la Sorbonne. Section des beaux-arts, Ministère de l’instruction publique, Paris, 1895

[2] C’est ce cousin qui sera désigné sous le nom de Jacques III Gabriel

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP