Le prince en question est Charles Stuart, petit-fils de Jacques II, dernier Stuart à avoir régné sur l’Angleterre et l’Écosse. Nous sommes en fin 1748. Le prince Charles-Édouard a vingt-huit ans. Il revient d’une campagne malheureuse en Angleterre où, vaincu à la bataille de Culloden en 1746, il doit finalement se réfugier en France qui, officiellement, lui apporte son soutien matériel, financier et moral.

Nous sommes alors à la fin de la guerre de succession d’Autriche. La France a pour alliées, la Prusse, l’Espagne, la Bavière et la Saxe. Dans l’autre camp, on trouve l’Autriche, l’Angleterre, les Provines-Unies et la Russie. On comprend donc bien le soutien de la France à un prétendant rival du roi George II d’Angleterre. Cette guerre est « mondiale » avant le terme car elle se déroule aussi aux Indes et en Amérique entre les puissances coloniales concernées. Elle se passe plutôt bien pour la France. Nos armées, victorieuses sur le continent (Fontenoy, vous vous rappelez !), occupent les Pays-Bas autrichiens (l’actuelle Belgique) et le comté de Nice, elles ont remporté quelques succès aux Indes (la prise de Madras) et ont réussi à défendre l’intégrité de la Nouvelle-France (le Canada) contre les appétits anglais. Pourtant Louis XV, soucieux de se rapprocher de l’Autriche, se montra très magnanime et conclut à Aix-la-Chapelle en octobre 1748 un traité « blanc », déplorable pour les intérêts français, renonçant à toute acquisition territoriale, pourtant la règle des vainqueurs. Il voulait faire la paix « en roi et non en marchand ». Belle phrase mais grande innocence politique, du moins pour l’époque ! Le peuple retint l’expression, toujours usité, de se « battre pour le roi de Prusse ». En effet ce dernier fit main basse sur la riche Silésie autrichienne et les yeux doux à l’Angleterre, sa future alliée lors de la guerre suivante. La « guerre de sept ans » (1756 – 1763) sera désastreuse pour les intérêts français avec la perte des Indes et du Canada notamment. Mais nous n’en sommes pas encore là !

Charles-Édouard Stuart, dont le grand-père, Jacques II, avait bénéficié du soutien et de l’hébergement de Louis XIV son cousin germain, s’attendait à un accueil similaire de la part de Louis XV. Mais il ne sait pas que, parmi les clauses secrètes du traité d’Aix-la-Chapelle, figure une disposition par laquelle le roi de France s’engage à expulser hors de France le prétendant Stuart. On ignore la contrepartie de cette trahison historique et familiale (Charles-Édouard et Louis XV étaient cousins lointains mais cousins néanmoins). Refusant une première injonction de quitter le territoire, le prince Charles se rend le soir du 10 décembre 1748 à l’Opéra. Pas moins de douze cents soldats des Gardes françaises furent mobilisés car, le prince étant populaire, on craignait une émeute pour le défendre. L’arrestation fut assez violente, il fut ligoté et emmené manu militari… au donjon de Vincennes.

Il fut placé sous la garde du marquis du Châtelet[1], ami proche du prince, qui n’appliqua pas à la lettre les ordres de grande sévérité concernant son incarcération. Cette affaire souleva l’indignation justifiée de toute une partie de l’aristocratie française comportant de grandes familles anglaises exilées comme les Fitz-James. Le dauphin lui-même fit état de sa désapprobation. Une série de pamphlets attaqua violemment le roi et la marquise de Pompadour, supposée à l’origine de cette mauvaise action. En voici un extrait dans un style qui n’est pas sans rappeler les libelles révolutionnaires qui circuleront moins d’un demi-siècle plus tard à l’orée de 1789 :

George, dis-tu, t’oblige à refuser l’asile
Au vaillant Edouard : s’il t’avait demandé,
Roi sans religion, que ta p….. s’exile,
Réponds-moi, malheureux : l’aurais-tu concédé ?

Voici aussi ce qu’en écrit, en historien, le duc de Broglie[2] :

« Dans toutes les pièces du monde, c’est le dénouement qui reste gravé dans la mémoire des spectateurs. Ainsi, un incident, au fond sans importance, allait marquer d’une note de déshonneur et d’humiliation une paix chèrement achetée et dont on contestait déjà les avantages. Bête comme la paix, disait-on, par une expression qui courut et qui fit fortune. Avec plus de justice encore et non moins de sévérité, on aurait pu appliquer la même qualification, non pas à la paix seulement, mais à la guerre elle-même, qui, mal engagée, le plus souvent mal conduite, finissait sans profit, sans éclat, sans que ni le génie de Maurice de Saxe, ni la gloire de Fontenoy, eussent pu réparer l’erreur et la faute du premier jour. »

Quant au héros involontaire de cette mauvaise pièce, le prince Charles, il ne passa finalement que six jours au donjon de Vincennes et fut convoyé hors du royaume à Avignon, alors territoire papal. Charles Stuart passa le reste de sa vie en exil. Il sombra dans l’alcoolisme, ce qui le rendit brutal, notamment avec son épouse, Louise de Stolberg, dont il se sépara en 1784. Il mourut à Rome le 31 janvier 1788 et fut enterré dans la cathédrale San Pietro de Frascati où son frère, Henri-Benoît Stuart était cardinal-évêque. Cet ecclésiastique fut le dernier prétendant Stuart au trône d’Angleterre. A son propre décès en 1807, sa dépouille rejoignit celle de son frère, Charles-Edouard, dans la tombe Stuart de la basilique Saint-Pierre de Rome. Tout le monde, sauf les murs du donjon, avait oublié l’épisode de l’emprisonnement de Vincennes, peu glorieux et peu à l’honneur du règne de Louis XV.

[1] Il s’agit vraisemblablement de Florent Claude du Châtelet, seigneur de la Neuville, l’époux d’Émilie du Châtelet, célèbre mathématicienne, et maîtresse de Voltaire, au vu et au su de son mari très « compréhensif ».

[2] Études diplomatiques – Fin de la guerre de la succession d’Autriche – Traité d’Aix-la-Chapelle (1748), Duc de Broglie, Revue des Deux Mondes, tome 110, 1892.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP