La famille Cassini fait partie de ces dynasties où, de père en fils, le même métier se propage comme si la génétique le disputait à la transmission culturelle du savoir. D’origine italienne naturalisée française, elle a compté parmi elle une lignée de quatre astronomes et cartographes renommés, faits comtes d’Empire puis pairs de France. Ensuite deux éminents botanistes, dont un peintre animalier, figurent parmi leurs descendants, porteurs du nom.

Le premier de la lignée est Giovanni Domenico Cassini (ou Cassini 1er). Né à Perinaldo dans le duché de Savoie en 1625, il travaille de 1648 à 1669 à l’observatoire de Panzano et enseigne la géométrie euclidienne et l’astronomie de Ptolémée (selon la doctrine de l’Église catholique) à l’université de Bologne, dans les Etats du Pape. Il obtient bientôt une telle réputation que le sénat de Bologne et le pape le chargent de plusieurs missions scientifiques et politiques. Attiré en France par Colbert en 1669, il s’y fait naturaliser. Il est reçu membre de l’Académie des sciences, fondée deux ans plus tôt. Il dirige l’observatoire de Paris à partir de 1671.Il participe à la découverte de la variation de la pesanteur selon la latitude au cours d’un voyage en Guyane. En tant qu’astronome, Il découvre la grande tache rouge de Jupiter et détermine la même année la vitesse de rotation de Jupiter, Mars et Vénus. Il découvre également quatre satellites de Saturne ainsi que la « division de Cassini » des anneaux de Saturne. En 1673, il fait la première mesure précise de la distance de la Terre au Soleil. Il publie les Éphémérides des satellites de Jupiter et rédige un grand nombre de mémoires, dont une partie a été réunie sous le titre d’Opera astronomico en 1728.

Jean-Dominique épouse Geneviève Delaistre, fille du lieutenant général de Clermont-en-Beauvaisis, et il achète la terre de Thury (Oise). En 1701, il fait construire une résidence d’été au hameau de Fillerval à Thury-sous-Clermont. Devenu aveugle en 1710, il meurt deux ans plus tard à Paris, le 14 septembre 1712. En 1790, la rue Cassini, près de l’observatoire de Paris, porte son nom. L’astéroïde Cassini, le cratère martien Cassini, le cratère lunaire Cassini et la sonde Cassini-Huygens ont été nommés en son honneur.

Jacques Cassini (Cassini II) est le fils de Jean Dominique Cassini et de Geneviève Delaistre. Il est né à Paris le 18 février 1677. Élevé par son père, il étudie à l’Observatoire de Paris avant même d’entrer au collège Mazarin. Il devient élève astronome à l’Académie des sciences en 1694, puis il succède à son père en tant que pensionnaire de l’Académie en 1712. Avec son père, il voyage beaucoup et prend part à de nombreuses opérations astronomiques ou géodésiques. Admis à la Royal Society de Londres et à l’Académie de Berlin, il se lie d’amitié avec Newton et Halley. Il décrivit une perpendiculaire à la méridienne de France et fournit plusieurs mémoires à l’Académie, dont un grand travail sur l’inclinaison des satellites et de l’anneau de Saturne. Il est l’auteur de plusieurs autres ouvrages, parmi lesquels Éléments d’astronomie (1740) et De la grandeur et figure de la terre (1720). Jacques Cassini se voit par ailleurs confier d’importantes charges administratives : maître ordinaire de la Chambre des comptes, puis magistrat à la chambre de justice et conseiller d’État.

En 1740, il abandonne progressivement son activité de scientifique et laisse son fils César-François reprendre le flambeau familial. Il lui confie la charge de l’Observatoire et l’établissement de la carte de France. Son autre fils, le marquis Dominique-Joseph de Cassini, suivit quant à lui la carrière des armes. Il meurt à Thury le 16 avril 1756 des suites d’un accident de voiture. L’astéroïde Jacques Cassini a été nommé en son honneur ainsi que le cratère lunaire Cassini qu’il partage en mémoire avec son père.

César-François Cassini (Cassini III) Il est le second fils de Jacques Cassini et de Suzanne Françoise Charpentier de Charmois. Il est né dans la propriété familiale de Thury le 17 juin 1714 et sera élevé principalement par un grand-oncle, il montre très tôt des dons pour l’astronomie. Il entre à l’Académie des sciences comme adjoint astronome en 1735 puis pensionnaire astronome en 1745.

Il épouse en 1747 Charlotte Drouin de Vandeuil dont il a deux enfants : Jean-Dominique (Cassini IV) qui lui succèdera à l’Observatoire et Françoise Elisabeth, épouse du vicomte Louis-Henri de Riencourt. Il est par ailleurs maître ordinaire à la Chambre des comptes et conseiller du roi, membre étranger de la Royal Society et de l’Académie de Berlin.

Comme tous les Cassini, il habite le même appartement du premier étage de l’Observatoire de Paris dont il deviendra le « Directeur général » avec trois mille livres de rente et il obtiendra que ce droit devienne héréditaire. Ses travaux astronomiques sont modestes et ne sont pas restés dans l’histoire des sciences. Cassini III sera avant tout un cartographe de grand talent. Sa carte de France est un des classiques du genre : il corrigera la méridienne qui passe par l’Observatoire et sera chargé de la description géométrique de la France. Le fruit de ses travaux sera cette belle carte de la France, composée de 180 feuilles, publiée de 1744 à 1793, et qui offrait la représentation la plus fidèle du pays, sur une échelle d’une ligne pour 100 toises[1]. César Cassini ne pourra achever cette vaste entreprise et son fils, Jean-Dominique Cassini, sera chargé de la terminer. César-François meurt de la variole à Paris le 4 septembre 1784.

Jean-Dominique Cassini (Cassini IV) est le fils de César-François Cassini et de Charlotte Drouin de Vandeuil. Il est né le 30 juin 1748 à l’Observatoire de Paris. Il fait ses études secondaires au collège du Plessis à Paris, puis chez les Oratoriens. En 1768, il voyage sur l’océan Atlantique en tant que « commissaire pour l’épreuve des montres marines ». Il voit ainsi les Amériques et les côtes d’Afrique. En 1770, il est élu adjoint astronome à l’Académie royale des sciences, dont il devient membre associé en 1785. Il épouse en 1773 Marie Louise de la Myre-Mory, comtesse de Neuville, qui décèdera à 36 ans en 1791.

Il prend peu à peu la place de son père, malade, à l’Observatoire, dont il est nommé directeur en 1784. Il tente alors d’engager des réformes : restauration du bâtiment, de plus en plus délabré, et réorganisation du lieu. Il achève l’ouvre colossale entamée par son père : la carte de France. Une fois terminée, il en fait hommage à l’Assemblée nationale en 1789. Cette carte constitue une innovation technique décisive. Elle est la première carte à s’appuyer sur une triangulation géodésique précise dont l’établissement a pris soixante ans. La carte ne localise pas rigoureusement les habitations ou les limites des marais, cultures, forêts ou étangs, mais le niveau de précision du réseau routier représenté est tel qu’en superposant des photos satellite aux feuilles de la carte, on obtient des coïncidences spectaculaires. Le travail des Cassini laissa son empreinte sur le terrain où l’on trouve, toujours aujourd’hui, des bornes ou des lieux-dits « signal de Cassini ». Ces points de repères correspondent aux sommets des triangles de géodésie qui formaient la trame de la carte.

Aux premières heures de la Révolution française, Jean-Dominique Cassini se voit confier plusieurs charges politiques et participe aux travaux de la commission de l’Académie chargée de préparer le système métrique. Partisan de la monarchie, il démissionne de ses fonctions en septembre 1793. Dénoncé par le comité révolutionnaire de Beauvais, il est incarcéré pendant sept mois, de février 1794 à août 1794. Il se retire ensuite dans son château de Thury. Il démissionne du Bureau des longitudes en 1795, de l’Institut de France en 1796, mais, en 1799, il accepte son élection comme membre de la section d’astronomie de la nouvelle Académie des sciences. Par la suite, il rédige des écrits destinés à se justifier et à défendre le prestige scientifique de sa famille. Ses Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et à celle de l’Observatoire royal de Paris paraissent en 1810. Il ne se consacre plus ensuite qu’à ses charges de maire de Thury et de juge de paix dans le canton de Mouy. Napoléon Ier, puis Louis XVIII, le pensionnent et le décorent. Il sera président du conseil général du département de l’Oise. Il meurt le 18 octobre 1845 à Thury-sous-Clermont à l’âge de 97 ans.

Plusieurs rue Jean-Dominique Cassini se trouvent de par le pays (Strasbourg, Orsay notamment) sans qu’on sache toujours s’il s’agit de Cassini 1er ou de Cassini IV ! de nombreuses rues Cassini (sans prénom) honorent la famille plus généralement. On en trouve notamment une à Paris dans le 14e arrondissement, près de l’observatoire de Paris, lieu emblématique de la dynastie.

Alexandre-Henri-Gabriel vicomte de Cassini, né à Paris le 9 mai 1781, est le fils du précédent, il est parfois appelé Cassini V pour marquer sa place dans la dynastie familiale. Il entame une carrière judiciaire en devenant membre puis vice-président du Tribunal de première instance de la Seine en 1811. Il épouse en 1812 Catherine de Riencourt d’une vielle famille d’Abbeville, également sa cousine. Conseiller et président de la Cour Royale de Paris et conseiller à la Cour de cassation, il est fait pair de France en 1831. Il est élu à l’Académie des sciences en 1827 pour ses travaux en botanique. On lui doit des mémoires réunis sous le titre Opuscules phytologiques (1826). Il a beaucoup travaillé sur la famille des Astéracées[2] (ou Composées). Il a également écrit un Dictionnaire des Sciences naturelles. Très attaché à la commune de Thury où sa famille avait pris racine, il avait donné à la commune une mairie, une maison d’école, un presbytère, une rente pour indemniser le curé, une pompe à incendie, etc. Il fait restaurer l’église. Il meurt du choléra le 16 avril 1832 sans postérité, treize ans avant son père.

Pourtant le nom de Cassini sera relevé par un petit-neveu d’Alexandre-Henri de Cassini. En effet la sœur de ce dernier, Aline de Cassini avait épousé en 1809 François-Joseph de Vuillefroy, écuyer. L’un de leurs petits-fils, Dominique-Félix obtint, par décret impérial du 26 avril 1865, l’autorisation d’ajouter à son nom celui de Cassini qui est celui de sa grand-mère et qui était éteint en France.

Dominique Félix de Vuillefroy-Cassini entra au Conseil d’Etat comme auditeur, mais donna sa démission en 1868, se sentant attiré par l’étude des sciences naturelles et des Beaux-Arts et voulant s’y consacrer entièrement. Comme son grand-oncle, il s’intéressa à la botanique mais aussi aux insectes. Président de la Société Entomologique, il avait également fait de sérieux travaux pour la classification des fougères.

Mais ce fut surtout l’étude et la pratique de la peinture qui l’absorbèrent. Entré en 1866 à l’atelier du peintre Léon Bonnat, Félix de Vuillefroy-Cassini exposa pour la première fois au Salon de 1867. Il obtint une médaille à l’Exposition Universelle de Vienne en 1879 et à celle de Paris en 1889. Dès lors, il fut considéré comme l’un des premiers maîtres animaliers. Il figura sans interruption dans le jury de la Société des Artistes français et du Salon pendant 25 ans, jusqu’en 1906. Plusieurs de ses tableaux sont dans des musées. Celui du Luxembourg, à Paris, en conserve deux. Il se retira à Thury dont il fut maire et décéda le 1er février 1916 à Maisons-Laffitte.

La propriété familiale de Thury-sous-Clermont, plusieurs fois citée, fut vendue vers 1910 par Félix de Vuillefroy-Cassini, après être restée dans la famille près de deux siècles et demi. Elle est achetée en 1930 par Donald Harper, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis. Niki de Saint Phalle (la petite-fille de Donald Harper) y a vécu au cours de l’entre-deux-guerres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le domaine fut occupé par un général allemand et ses troupes. Vers la fin de la guerre, ils brûlèrent les meubles d’époque pour faire du feu dans les cheminées, et détruisirent huit cents éditions originales de la bibliothèque du château dont ils se servirent comme papier hygiénique. Ravagé par un incendie dans les années 1950, le château a été restauré et il est occupé, aujourd’hui, par le centre de formation de l’Institut français de gestion. Le fascicule de présentation du site évoque la présence de la famille Cassini dans ces murs.

[1] Sachant qu’une toise vaut 6 pieds qui sont composés de 12 pouces de 12 lignes chacun, « 100 toises pour une ligne » correspond donc à une échelle de 1/ 86 400e.

[2] La famille des astéracées comprend de très nombreuses espèces de plantes (environ 24 000) dont certaines nous sont très familières comme les laitues, les endives, le tournesol, l’artichaut, le topinambour, l’estragon… D’autres sont purement ornementales comme les asters, les soucis et les cosmos. Enfin on trouve dans cette famille des plantes médicinales comme l’arnica ou la camomille.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP