Les familles où le talent et la célébrité se transmettent de père ou de mère en fils ou en fille, ne sont pas rares. Les Dumas, les Rostand, les Curie, les Queffelec en sont les illustrations connues. Parfois la discipline littéraire, scientifique ou artistique change d’une génération à l’autre. Mais je ne connais guère de famille qui ait cultivé avec grand talent la même discipline scientifique durant quatre générations. La famille Becquerel, qui illustra la physique française pendant près d’un siècle et demi, est exceptionnelle à cet égard. Les Cassini ont également constitué une grande famille de savants mais évoluant de l’astronomie à la cartographie puis à la botanique. La seule dynastie française comparable par sa continuité est celle des Gabriel dans le domaine de l’architecture (sur sept générations) ou celle des Casadesus pour la musique, le chant et la comédie. En Europe on connaît aussi l’extraordinaire famille musicienne des Bach, qui, en incluant tous les cousins, est sans doute la plus étendue par le nombre.
Mais restons aujourd’hui dans le domaine scientifique. Le nom de Becquerel est familier des physiciens, c’est Henri qui a ancré son patronyme dans le panthéon de la science. Henri Becquerel, prix Nobel de physique en 1903, a laissé son nom à l’unité de mesure de la radioactivité, le becquerel[1] (Bq). On sait moins que son père Edmond, son grand-père Antoine et son fils Jean sont également d’éminents physiciens. Ces quatre savants sont polytechniciens, tous furent titulaires de la chaire de physique du Museum national d’histoire naturelle de Paris et membres de l’Académie des sciences. On leur doit des avancées significatives dans des domaines variés de la physique, comme on va le voir.
Commençons par l’ancêtre, Antoine César Becquerel. Il naît à Châtillon-Coligny (Loiret) sous le règne de Louis XVI le 7 mars 1788. Il est issu d’une famille de petite et fraîche noblesse dont les ancêtres furent bourgeois de Paris. Il étudie à l’École polytechnique (promotion X1806). Il est officier du génie dans les campagnes d’Espagne et de France sous le Premier Empire. Il quitte l’armée, avec le grade de chef de bataillon, en 1815. Il se consacre alors à des travaux scientifiques qui lui valent le titre de membre de l’Académie des sciences en 1829 et la chaire de professeur de physique au Muséum national d’histoire naturelle de Paris en 1837. Il fait de l’électrochimie appliquée aux arts l’objet de ses recherches. Il s’intéresse également à des questions très concrètes et y réalise des avancées spectaculaires. Le thermomètre électrique qu’il a imaginé permet de déterminer à distance la température intérieure des végétaux et des animaux, ainsi que celle de la terre en profondeur ou des régions élevées dans l’atmosphère. Il contribue à l’’amélioration du sol de la région naturelle de la Sologne. Il est élu conseiller général du canton de Châtillon-Coligny le 4 juillet 1847 et meurt le 18 janvier 1878 à Paris, dans sa quatre-vingt-dixième année.
Son nom fait partie de la liste des soixante-douze savants inscrits sur la Tour Eiffel. La ville de Chatillon-Coligny lui a élevé une statue sur l’une de ses places. Son buste en marbre (par Luc Labadie) figure dans la grande galerie de l’évolution au muséum d’histoire naturelle. Paris lui a dédié une rue dans le 18e arrondissement. Plusieurs villes de province ont donné son nom à certaines de leurs rues, comme Perpignan, Orléans, Le Mans, Rennes ou encore Brétigny-sur-Orge et Les Mureaux.
Alexandre Edmond Becquerel, fils du précédent, naît à Paris le 24 mars 1820. Bien que reçu à l’école polytechnique en 1838, il refusa d’y entrer pour travailler immédiatement comme préparateur auprès de son père. Il découvre en 1839 l’effet photovoltaïque, qui correspond à l’apparition d’une tension électrique aux bornes d’un matériau semi-conducteur exposé à la lumière. Il occupe la chaire de physique appliquée aux arts au Conservatoire national des arts et métiers à partir de 1852, et devient professeur de physique au Muséum national d’histoire naturelle, à la suite de son père. Il s’intéresse tout d’abord à la phosphorescence et à l’étude de la spectroscopie, parvenant à obtenir grâce à la photographie une reproduction du spectre solaire. Comme Arago, il s’intéresse aux méthodes de photographie de Daguerre Par la suite, ses recherches s’orientent vers le magnétisme, puis la conductibilité thermique des gaz. En 1866, il effectue les premières mesures de température à l’aide d’une pile thermoélectrique. À la suite de la création de l’École pratique des hautes études, il prend la tête du laboratoire de recherche en physique du Muséum. En 1863, il est élu membre de l’Académie des sciences et membre étranger de la Royal Society en 1888. Il meurt à Paris le 11 mai 1891.
Les communes de Villeroy (Seine-et-Marne) et d’Echirolles (Isère) lui ont dédicacé une rue mais Paris l’a oublié bien qu’il y fût né, qu’il y eût vécu et disparu.
Henri Becquerel, né le 15 décembre 1852 à Paris, est le plus connu de la famille. Il effectue ses études au lycée Louis-le-Grand. En 1872, il entre à l’École polytechnique, puis en 1874 au corps des Ponts et Chaussées. Il s’oriente vers la recherche. Ses premiers travaux concernent l’optique. Il soutient sa thèse de doctorat en 1888 sur l’absorption de la lumière. L’année suivante, il est élu à l’Académie des sciences, comme son père et son grand-père l’avaient été avant lui. Après la mort de son père en 1892, il poursuit son travail et devient professeur à l’École polytechnique en 1895. En 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité par hasard, alors qu’il fait des recherches sur la fluorescence des sels d’uranium. Sur une suggestion d’Henri Poincaré, il cherchait à déterminer si ce phénomène était de même nature que les rayons X. C’est en observant une plaque photographique mise en contact avec le matériau qu’il s’aperçoit qu’elle est impressionnée même lorsque le matériau n’a pas été soumis à la lumière du Soleil. Le matériau émet son propre rayonnement sans nécessiter une excitation par de la lumière. Ce rayonnement fut baptisé « hyperphosphorescence ». Il annonce ses résultats le 2 mars 1896, avec quelques jours d’avance sur les travaux de l’Anglais Silvanus Thompson qui travaillait en parallèle sur le même sujet à Londres. En 1897, Marie Curie choisit ce sujet pour sa thèse de doctorat. Elle révèle les propriétés ionisantes de ce rayonnement puis, avec son époux Pierre Curie, découvre les éléments chimiques qui en sont à l’origine. Elle rebaptise cette propriété du terme de « radioactivité » qui, désormais, s’imposera. En 1903, après la découverte du polonium et du radium par Marie et Pierre Curie, Becquerel partage avec eux deux le prix Nobel de physique en reconnaissance des services extraordinaires qu’il a rendus en découvrant la radioactivité spontanée. En 1908, il devient membre étranger de la Royal Society. Il meurt le 25 août 1908 au Croisic, à 56 ans.
Un buste en bronze à son effigie a été réalisé en 2017 par le sculpteur Jean Marc du Pas pour le cinquantenaire du Centre Henri-Becquerel constitué à Rouen pour la lutte contre le cancer. Un autre buste en marbre (par Jean-Louis Bozzi) le représente au muséum d’histoire naturelle de Paris. De nombreuses rues portent son nom, notamment à Dijon, Montpellier, Nantes et en région parisienne (Chelles, Clamart, Sevran, Clamart, Neuilly-sur-Marne, etc.). Une rue lui est dédiée au Croisic, ce qui est bien normal puisqu’il séjourna et y mourut. Par contre, il reste oublié de l’annuaire des rues parisiennes !
Jean Becquerel, le fils du précédent, naît le 5 février 1878 à Paris 5e. Sa biographie semble copiée sur celle de son père. Il est ancien élève du lycée Louis-le-Grand, il est diplômé de l’École Polytechnique (Promotion X1897). Il sort, comme son père, dans le corps des Ponts et Chaussées, dont il deviendra ingénieur général. En 1909, il succède à son père à la chaire de physique appliquée aux sciences naturelles du Muséum national d’histoire naturelle. Ses travaux de recherche concernent les propriétés optiques et magnétiques des cristaux et notamment la polarisation rotatoire paramagnétique. Il travaille également sur la théorie de la relativité. Il est professeur de physique à l’École polytechnique, de 1919 à 1924, et y enseigne le premier cours où apparaît la théorie de la relativité. Il est élu à l’Académie des sciences en 1946. Également musicien, il y joue de l’orgue sous l’égide du compositeur Marcel Dupré, titulaire des Grandes Orgues de Saint-Sulpice à Paris.
En 1908 Jean Becquerel achète à Pornichet la villa Marie-Claire. En hommage à son père, il rebaptise la villa Ar Bann signifiant les « rayons » en breton. Sur le fronton, au-dessus de la porte d’entrée, il fait ajouter les armoiries de la famille Becquerel datant du 17ème siècle. Elles représentent deux oiseaux se disputant une grappe de raisins. Certains y voient là, une querelle de becs, traduction héraldique de Becquerel… Jean décède à Pornichet le 4 juillet 1953, sans descendance.
On trouve une rue Jean-Becquerel à Fontainebleau.
Une telle dynastie scientifique, polytechnicienne et physicienne est exceptionnelle. C’est ce qui a fait dire à l’un de leurs biographes (Yves Le Grand) : « Les Becquerel constituent un physicien en quatre personnes ».
[1] Le becquerel (symbole : Bq) est l’unité du Système international d’unités (SI) qui décrit le nombre de désintégrations qui se produisent par seconde dans une certaine quantité de matière. L’ancienne unité de radioactivité était le curie (Ci). 1 Ci = 3,7 × 1010 Bq = 37 GBq.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP