Le progrès est démodé, l’innovation fait recette

Un journaliste constatait récemment que le mot « progrès », encore présent dans le discours électoral de l’élection présidentielle de 2007, avait totalement disparu du vocabulaire des candidats en 2012 et plus encore en 2017, en partie remplacé par le mot aseptisé d’innovation. Pourtant à l’époque des lumières et tout autant au cours du XIXème siècle, le mot progrès était encensé et sacralisé en Occident. Une chaîne vertueuse devait s’organiser à partir du progrès scientifique, engendrant le progrès technique, conduisant au progrès humain (le confort de l’homme), amenant au progrès politique et institutionnel puis culminant avec le progrès moral conduisant à la société idéale.

Le XXème siècle a cruellement démenti cet enchainement vertueux et cette causalité optimiste. En particulier, plus personne n’est convaincu par le point d’aboutissement. Les grandes tyrannies et dictatures politiques et sociales du XXème siècle se sont souvent recommandées du progrès scientifique et technique. Le mot lui-même a commencé à faire tache. Les grandes découvertes inquiètent, plus qu’elles ne rassurent : les nanotechnologies, le nucléaire, même l’Internet présentent de « mauvais côtés » qui, souvent, occultent les retombées positives de ces inventions. L’homme moderne se sent même « domestiqué » par les outils qu’il a créés et qui devaient lui faciliter la vie. La dépendance technologique devient une « addiction » préoccupante pour certaines populations vulnérables. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et rejeter la notion de progrès avec les outils nouveaux qu’il nous procure ?

Même si la réponse était positive, elle serait sans effet, car il apparait que la « progression du progrès » ne se maîtrise plus. Certes, de savants comités tentent de légiférer sur les sciences du vivant (la bioéthique) ou las nanotechnologies. Périodiquement certaines applications monstrueuses du progrès dans le domaine de l’armement sont officiellement bannies et prohibées (armes chimiques ou biologiques, prolifération nucléaire), mais le doute reste sur l’application loyale et universelle de ces engagements formels. Le progrès est là que nous l’aimions on non. Un pessimisme fataliste doit-il l’emporter sur la croyance historique et naïve des vertus du progrès ? La question est, le plus souvent, éludée et j’y vois la raison du succès conceptuel de substitution que constitue l’innovation. C’est la version moderne, édulcorée du progrès. Le terme est consensuel et peu s’aventurent à contester l’opportunité de s’y livrer. On retient la marche en avant vers la « nouveauté » mais on fait disparaître le jugement de valeur sur le produit. La démarche est encouragée, elle fait partie des programmes politiques de tous poils, la connotation est positive, mais on ne se prononce pas sur l’utilité qui est postulée d’évidence. Il n’y a plus de « flèche de l’histoire » du progrès. C’est une sorte de grand concours Lépine du changement. On verra bien ce qu’il en reste après un processus de sélection naturelle entre les bonnes innovations et celles qui sombreront dans l’oubli. On laisse le marché faire le tri et on oublie tout lien avec le progrès moral et le progrès humain. C’est mieux que rien mais ce n’est pas mettre la barre très haut. Cela devient comme un réflexe sociétal et un mot d’ordre : il faut innover coûte que coûte. Les entreprises sont au cœur du processus car on compte sur elles pour être le « moteur » de l’innovation, le carburant étant la créativité de l’homme appuyé sur les outils dont il s’est lui-même doté. Ce serait aux entreprises et aux chercheurs de trouver le bon calage entre l’innovation débridée, sans finalité, et un progrès technique vertueux. L’énoncé est plus simple que la réponse. Les entreprises peuvent vraisemblablement apprécier les contributions positives de l’innovation parce qu’elles se situent au plus près de l’analyse des besoins, elles savent poser des questions aux scientifiques et « orienter le progrès ». Mais elles ont aussi des préoccupations légitimes d’ordre commercial et l’innovation ne peut se limiter aux visions prospectives de quelques gourous inspirés du genre Steve Jobs, Elon Musk ou Mark Zuckerberg. Pour ma part, je rêve toujours d’un monde qui arriverait à coordonner ses différents facteurs d’évolution, de la technique à la philosophie et à la morale. Je voudrais ressusciter le terme de progrès et son contenu aussi.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP