Tout le monde – du moins pour ma génération – a appris sur les bancs de l’école qu’amour, délice et orgue se féminisent en se multipliant. Ce sont les mots « transgenres » les plus connus. Mais il y en a quelques autres qui, dès le singulier, ne savent pas vraiment à quel genre ils appartiennent. Pour certains, cette hésitation est légitime car ils sont réellement « hermaphrodites » et s’appliquent tantôt à un personnage masculin tantôt à une personne féminine. Ainsi camarade, partenaire, collègue, valent pour les deux sexes. Certains hésitent vraiment et peuvent être de l’un ou l’autre genre selon l’auteur, tels (ou telles) : acmé, après-midi, enzyme, réglisse. Certains grammairiens ont leurs préférences et fustigeront un emploi travesti, contraire à leur orientation. « Gens », qui n’a rien de singulier, puisqu’on ne l’emploie qu’au pluriel, alterne entre de « vieilles gens » ou des « gens vieux ». Il se met au féminin quand un adjectif le précède et devient masculin quand le même qualificatif le suit et je vous épargne les subtilités et les exceptions[1] qui gouvernent cette règle. « Esbrouffe » est le plus souvent masculin mais Littré le met au féminin en citant Balzac.

Certains noms ont un genre bien établi mais c’est nous-mêmes qui parfois hésitons sur celui qu’il convient de leur donner. Du côté des masculins douteux (parce qu’ils nous font douter), je citerai : obélisque, astérisque, acrostiche, ou tentacule. Mais on fréquente aussi des féminins mal assurés comme anagramme, azalée, oriflamme, nacre ou caténaire.

Pour les fleurs, l’hésitation n’est pas moins grande. Pourtant on peut noter que les noms se terminant en « a » sont en fait masculins (contrairement à la désinence latine, féminine) : fuchsia, dahlia, freesia, bégonia, etc. On doit dire aussi le vanilla même si on préfère parler de « la vanille » pour désigner la même plante ! Pour d’autres plantes on a l’embarras du choix : sagittaire, aster et colchique sont masculins quand perce-neige, euphorbe, bougainvillée et azalée sont féminines. Ceux qui se souviennent qu’Amaryllis était une nymphe de la mythologie grecque n’hésiteront à parler d’une amaryllis en désignant la fleur et mettrons aussi au féminin la psyché, miroir inspiré de la princesse éponyme, épouse d’Eros.

Certains mots n’hésitent pas à changer de genre pour épouser une autre signification, ils sont plutôt du genre « volage ». Leur liste est assez longue : aigle (celui du naturaliste ou celles du militaire), épigramme (celle du poète ou celui du boucher), solde (celle du soldat ou ceux du commerçant), œuvre (celui des travaux d’un artiste ou celle que constitue un tableau), enseigne (le militaire ou l’objet de devanture), manœuvre (le travailleur ou l’opération militaire), mémoire (celle de l’homme en général ou celui du comptable en particulier), critique (l’homme ou la chose), manche (celle de la veste ou celui de l’outil), poste (celui de l’employé ou celle du facteur), iris (masculin pour l’œil et plutôt féminine pour la plante tubéreuse).

Pour les prénoms, le transgenre, ou double-genre, s’appelle épicène. J’en sais quelque chose me prénommant Dominique. Mais c’est le lot aussi des Claude, Camille, Louison, etc. Cela peut se limiter à l’homophonie entre Marcel et Marcelle, Andrée et André, José et Josée, Joseph et Josèphe, Lou et Loup, George et Georges, etc. N’oublions pas que dans le prénoms composés et multiples, Anne, Marie, Philippe et Hyacinthe sont souvent attribués indifféremment à des hommes ou à des femmes.

Notons enfin les mots « travestis », ceux ou celles dont le genre ne correspond pas au sexe de la personne qu’ils désignent. Du côté des faux féminins, on a recrue, estafette, sentinelle, ordonnance, qui, jusqu’à une date récente, ne pouvaient désigner que des militaires mâles. Dans le vocabulaire respectueux ou obséquieux, altesse, éminence ou excellence s’appliquent à des titulaires masculins, avec certes des exceptions féminines en nombre croissant. De manière plus argotique ou familière, une « grosse légume », une « hirondelle » ou une « brêle » qualifient plus souvent un homme qu’une femme. Inversement, les masculins, mannequin, modèle, bas-bleu, désignent essentiellement des personnages féminins. De nombreux mots qualifient des personnages dont le sexe n’est pas en rapport avec le genre. Que ce soient les féminins fripouille, canaille, vedette ou andouille. Symétriquement les masculins suivants peuvent aussi s’appliquer à une femme : tyran comme génie.

Qu’en conclure ? Que le genre fait partie de l’histoire des mots et qu’il n’a parfois que peu de lien avec son cousin, le sexe, n’en déplaise à nos féministes modernes. On pourrait utilement relire Jean-François Revel[2] qui nous disait déjà : « Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels. Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre ». Il serait préférable de s’en réjouir car c’est la richesse ou la truculence de notre langue de masculiniser le guépard et de féminiser la girafe, même si, fort heureusement il y des girafes mâles et des guépards femelles. Pour terminer par le sourire, on sait que la chanson de Brassens, le Gorille, a été traduite en de nombreuses langues. Une des difficultés majeures des traducteurs a été le genre de l’animal. Par exemple, en tchèque, gorille est féminin (gorila) ; quand on connaît le caractère très sexué de l’animal dans la chanson, le pauvre traducteur a dû avoir des sueurs froides devant l’animal en chaleur !

[1] Si l’adjectif qualificatif précédant immédiatement « gens » se termine par un ‘e’, il est donc le même tant au masculin qu’au féminin ; dans ce cas, ‘gens’ est masculin : Ecouter de tels honnêtes gens est un plaisir. Si cet adjectif est lui-même précédé d’un pronom relatif interrogatif (qui, quel…) ou exclamatif (quel… !), ce pronom prend le genre de l’adjectif : Quels honnêtes gens ! mais De quelles gentilles gens vous parlez ?

[2] Article paru le 11 juillet 1998 dans Le Point, le Sexe des mots.

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP