Les marchands de vêtement sont en bras de chemise et, sans blouse, en ont ras la casquette, ils ont la tête-tailleur. Pour les couvreurs, c’est la tuile, et certains plombiers sont carrément en fuite. Les soudeurs ne font plus la soudure pour la fin de mois. Pour les teinturiers, il faut repasser et comment faire ? Les vitriers se tiennent à carreau et les miroitiers ne réfléchissent plus, leur image est ternie. Les horlogers ne savent plus où leur or loger. Le menuisier rabote sa marge établie, pour desserrer l’étau de l’angoisse qui le tenaille et le vrille. Le charpentier lit sans scie tout ce qui passe à portée d’arbalétrier. Les coiffeurs se défrisent et coupent les cheveux en quatre pendant que les coiffeuses se crêpent le chignon, quelle barbe ! Les peintres sont au bout du rouleau et s’emmêlent les pinceaux. Les dessinateurs font grise mine et se taillent…les crayons. Les artistes peintres, eux, se mettent sur la toile avec leur souris, quel tableau ! Les pianistes montent en gamme mais mettent la pédale douce.
Les restaurateurs mélangent les torchons et les serviettes et ruminent leur vengeance à force de manger froid. Les problèmes des boulangers vont croissants, ils ont mangé leur pain blanc et mènent leurs clients à la baguette. Frappés par la foudre les pâtissiers ne font plus d’éclair, ils sont sur le flanc et se consacrent aux religieuses pour ne pas l’avoir dans le baba. Les sucriers sont dans la mélasse et vont aux fraises. Alors que les bouchers se font du mauvais sang et se décarcassent pour défendre leur bifteck, les volaillers se font plumer et les charcutiers s’étripent. Pour les pêcheurs, c’est vraiment le calme plat, ils haussent le ton et mettent les voiles ; les plus vieux, à quai, montrent comme un vieillard en sort[1] ! Et, bien sûr, les marchands de cochons font la tête tandis que les céréaliers, sans grain à moudre, sont sur la paille. Alors que les brasseurs sont sous pression, les vignerons attendent que la situation se décante. Les cafetiers ont encore du jus mais broient du noir, ils sont prêts à sortir les canons pour dézinguer sans licence les petits ballons.
Les maraîchers s’occupent de leurs oignons, finis les choux gras ! Ils n’ont plus un radis et, du coup, faute de les vendre, ils racontent des salades. Leurs femmes, en bonnes romaines, mâchent des laitues, c’est mesclun ! Les producteurs de fruits, mi-figue mi-raisin, n’ont pas la pêche, ils tombent dans les pommes et en prennent plein la poire. Pour les marchands de légumes, c’est la fin des haricots et les carottes sont cuites, ils en ont gros sur la patate. Rouges comme des tomates, ils s’échangent des navets puisque les cinémas sont fermés. Pour les fromagers, beaux, forts, qui ne comptent pas pour du beurre, c’est la poisse au pluriel, leur temps est compté et mental. Ils ont des bleus à en devenir chèvre, même si certains boivent du petit lait. Les huitriers ouverts et caillés vont à la pêche aux moules. D’une manière générale, les agriculteurs se plantent mais restent cultivés, ils fument sans excès mais sont fauchés comme les blés. Les bergers sont prêts à donner la clé aux pâtres[2]. Les apiculteurs, un peu piqués, font leur miel. Les fleuristes ont des soucis et colorent leurs pensées, violettes ou roses, ils attendent la fin du cycle, amen !
Dans l’industrie automobile, les salariés débrayent et rongent leur frein dans l’espoir que la direction fasse marche arrière. Chez EDF, les syndicats survoltés sont sous tension, mais la direction ne semble pas au courant et ne fait pas la lumière. Les cheminots voudraient garder leur train de vie, mais la crise est arrivée sans crier gare et ils ne peuvent plus rouler les mécaniques. Les veilleurs de nuit, eux, vivent au grand jour, pendant qu’on fiche la paix aux gardiens. Les pédicures travaillent d’arrache-pied sans entorse au règlement sanitaire. Les aviateurs prennent de l’altitude, ils ne l’ont pas volé même avec du plomb dans l’aile. Chez les postiers, toujours timbrés et affranchis, ça ne fait pas un pli, rares sont ceux qui mettent le paquet, ce n’est pas recommandé !
Les curés ne savent plus à quel Saint se vouer quand les pasteurs vaccinent à tour de bras. Les rabbins se prennent pour des cas (rabbins), et les imams, sans le sou, ratent.
Les acteurs dramatisent et font la comédie à tour de rôle, sans souffler. Les croupiers jouent le tout pour le tout et s’adonnent à la roulette russe. Les militaires se défilent et partent en retraite, certains passent l’arme à gauche. En prime, les imprimeurs s’ancrent dans la déprime. La météo nébuleuse entre en dépression et se méfie des courants d’air. Cela capote pour les souteneurs dont les filles sont à la rue sans masque préservatif. La « distance sociale » ne facilite pas les rapports, c’est une mauvaise passe ! Les dealers cherchent l’arbre à came, en tête ; dis-leur que ça n’existe pas ! Les pompistes font des pompes en astiquant les leurs pendant que les cyclistes se recyclent et que les garagistes déjantent. Les piétons piaffent et les chevaux piétinent. Les manèges font le ménage, déménagent et s’aménagent sans ménagement.
Les prisonniers sont libérés et les libertaires sont emprisonnés. Les sans-logis sont assignés à résidence. La police se gendarme et les gendarmes se polissent dans l’allégresse (car la gendarme rit).
C’est vraiment la crise, même pour les banquiers qui ne perdent pas au change mais qui redoutent le virement pour solde de tout compte. Ils font des provisions de bois pour leurs chèques. Du coup, les voilà passifs sans ratio, sauf certains qui se mettent, à découvert et avec intérêt, à la plantation … d’oseille.
Finalement, la France était au bord du gouffre mais, depuis, elle a fait un grand pas en avant.
[1] Ce « kakemphaton » est d’Adolphe Dumas (à ne pas confondre avec Alexandre du même nom), auteur dramatique sans grand succès pour sa pièce le Camp des croisés de 1837.
[2] On prête ce calembour « égyptien » à deux auteurs du XIXe siècle, Dumanoir et Clairville, spécialistes de pastiche dignes de Pierre Dac ou d’Alphonse Allais.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP