Issu d’une longue lignée de meunier, Jean-Jacques Peugeot (1699 – 1741) est le premier recensé de cette grande lignée d’industriels du pays de Montbéliard. Son fils Jean-Pierre Peugeot (1734-1814), dirige une entreprise de teinturerie et de meunerie d’huile et de céréales, avec la construction de plusieurs moulins dans cette région riche en cours d’eau.
En 1810, Jean-Pierre (1768-1852) et Jean-Frédéric Peugeot (1770-1822), les deux fils aînés de Jean-Pierre, s’intéressent à la métallurgie. Mais, fin 1814, leur fonderie n’est pas rentable et est abandonnée. L’entreprise se reconvertit alors dans la production de ressorts pour mécanismes d’horlogerie. Elle se dénomme en 1819 « Peugeot Frères Aînés et Cie ». À partir de 1825, une nouvelle usine de laminage à chaud est construite à Valentigney au sud de Sochaux au bord du Doubs. En 1810, Jean-Pierre s’était associé avec Jacques Maillard-Salins d’une grande famille d’industriels horlogers du Haut-Doubs. Ils fondèrent « Peugeot Frères Aînés et Jacques Maillard-Salins ». Deux nouvelles usines sont construites dans les environs de Sochaux : à Hérimoncourt en 1839 et à Beaulieu en 1853 en bordure du Doubs.
Jules (1811-1889), diplômé de l’École centrale de Paris, et Émile Peugeot (1815-1874) succèdent à la tête de la société à leur père Jean-Pierre. Elle deviendra « Établissements Peugeot Frères », (EPF). Les Peugeot exploitent les domaines forestiers familiaux, fabriquant des d’outillage à main pour l’artisanat, l’industrie et l’agriculture, des lames de ressort pour l’horlogerie et des baleines de corsets pour l’habillement féminin. Émile Peugeot puis sa fille Lucy, protestants et fervents pratiquants, sont des pionniers en matière sociale. Ils créent et financent diverses institutions de secours, une caisse de pensions pour les veuves, une assurance mutuelle sociale en 1853, des logements à bas prix pour leurs salariés, l’hôpital du Rocher à Valentigney où les ouvriers accidentés sont soignés gratuitement et un système de caisse de retraite ouvrière en 1876. En 1871, ils établissent la durée du travail à douze heures par jour.
En 1865, Jules et Émile passent la main à leurs fils respectifs, Eugène (1844-1907, HEC) et Armand (1849-1915, centralien). Sous le Second Empire et le début de la Troisième république, l’industrie Peugeot est importante et prospère. En 1882, fabrication en série avec succès du « grand-bi[1] », puis celle des tricycles et, en 1886, les bicyclettes à roues égales et transmission par chaîne. En 1889, Peugeot emploie déjà près de 2 000 personnes. Armand Peugeot, féru de moteurs, décide de fabriquer des automobiles. Cette même année, il présente à l’Exposition universelle de Paris quatre prototypes de Peugeot « type 1 », des tricycles équipés de chaudière à vapeur de Léon Serpollet. Armand découvre alors durant cette exposition le nouveau moteur à explosion à essence de l’allemand Gottlieb Daimler qui fait fabriquer son moteur par Panhard et Levassor. Dès la fin de l’exposition, Émile Levassor propose à Armand Peugeot de construire un quadricycle, le « type 2 » suivi un an plus tard du « type 3 ». C’est le début de l’empire automobile Peugeot. Le 2 avril 1896, Armand Peugeot se sépare des activités des « Fils de Peugeot Frères » et fonde la « Société des automobiles Peugeot » avec des usines à Audincourt et à Lille, alors qu’Eugène avec « les Fils de Peugeot Frères » continue à fabriquer des bicyclettes, motos, tricycles et quadricycles avec ou sans moteur et également des outils, des articles ménagers, des moulins à café, etc. En 1897, Armand Peugeot vend avec succès 54 voitures puis 156 en 1898 et 500 en 1900. Armand Peugeot est donc bel et bien le seul et unique fondateur de la branche automobile. Il est également le premier président de la chambre syndicale des constructeurs automobiles de 1909 à 1913.
En 1905, Pierre (1871-1927), Robert (1873-1945) et Jules Peugeot (1882-1959), les trois fils d’Eugène, sortent une voiturette sous la marque « Lion-Peugeot » contre la volonté de leur père, toujours hostile à l’automobile. Leur société « les Fils de Peugeot Frères » fusionne à nouveau avec « Automobiles Peugeot » de leur grand cousin Armand Peugeot en février 1910 après que leur père fut décédé en 1907. Robert Peugeot devient chef de famille et prend la tête du groupe. En 1912, il ouvre un nouveau site industriel Peugeot à Sochaux. En 1914, la Première Guerre mondiale met un coup d’arrêt à l’évolution et à la prospérité de Peugeot. Les usines sont mobilisées pour l’effort de guerre et fabriquent des vélos, des voitures, des camions, des chars, des moteurs d’avions, des bombes et des obus en imposant définitivement la nouvelle ère de la grande série. En 1919, Peugeot est techniquement dépassé par la nouvelle concurrence anglaise et américaine des surplus militaires et s’endette lourdement. En 1926, la partie rentable de fabrication de cycles est séparée de l’automobile déficitaire.
En 1928, Jean-Pierre Peugeot (1896 – 1966), fils de Robert Peugeot, prend la direction de l’entreprise et devient le président du club de football qu’il vient de créer : le Football Club Sochaux-Montbéliard (FC Sochaux). En 1940-1945, durant la Seconde Guerre mondiale, les usines Peugeot sont occupées et sabotées. En 1953, le groupe réintègre toutes ses différentes entités sous le nom unique « Peugeot ». Jean-Pierre Peugeot est président de la chambre syndicale des constructeurs automobiles de 1962 à 1964. Mi-1966, est constitué PSA (Peugeot Société Anonyme) qui assure une gestion financière unique pour l’ensemble du groupe (automobiles, cycles, aciers et outillages)
Élève au lycée Janson-de-Sailly puis Saint-Louis, il est un des premiers futurs cadres dirigeants à étudier à Harvard. Roland Peugeot (1926 – 2016) prend, à seulement 33 ans, la tête des Établissements Peugeot Frères (EPF) à la suite de son père Jean-Pierre. Il préside le conseil de PSA de 1972 à 1998. Durant sa présidence, le groupe passe d’un statut provincial à celui de groupe international En 1976 Peugeot acquiert 90 % du capital de Citroën auprès de Michelin à la demande du gouvernement français pour sauver la marque au bord du dépôt de bilan. Le groupe devient alors PSA-Peugeot Citroën, société à directoire présidé par François Gautier, (premier membre extérieur à la famille à ce poste) et à conseil de surveillance, dont Roland Peugeot prend la présidence. En 1978, PSA rachète les filiales européennes et iraniennes de Chrysler, dont Simca. En 1982, l’entreprise connaît de très graves difficultés financières et la famille Peugeot fait appel aux services de l’énarque Jacques Calvet qui va diriger le groupe durant treize ans à partir de 1984 comme président du directoire. En 1998, peu après la nomination de l’ingénieur des mines Jean-Martin Folz, Roland Peugeot quitte la présidence du conseil de surveillance, dont il reste membre censeur, jusqu’en 2014 au moment de l’entrée de Dongfeng Motor Corporation au capital de la société.
Pierre Peugeot (1932-2002), cousin de Roland, est le seul membre de la famille à avoir eu un siège au directoire de PSA de 1972 à 1998. Il a joué un rôle essentiel pendant cette période dans le développement du groupe PSA Peugeot Citroën, dans la détermination de sa stratégie et dans sa mise en œuvre. En 1988, il inaugure le « Musée de l’Aventure Peugeot » sur le site industriel historique de Sochaux. En 1998, il remplace Roland Peugeot à la présidence du Conseil de Surveillance de PSA et de la holding cotée qui détient la plus grande partie de la participation de la famille dans le groupe PSA ainsi que des actifs de diversification (FFP). À ces postes, il veille à renforcer Faurecia (filiale de PSA dans les équipements automobiles) par des acquisitions successives. Il fait en sorte d’augmenter la participation de la famille dans le groupe PSA, laquelle avait été diluée dans les années 1980, et commence à diversifier les actifs de FFP.
En 2002, à la mort de son père, Pierre, Thierry Peugeot (né en 1956), diplômé de l’ESSEC, est élu président du conseil de surveillance du groupe PSA Peugeot Citroën et son cousin issu de germain, Jean-Philippe Peugeot (né en 1953) en est vice-président. Pour succéder à Jean-Martin Folz en 2006, Thierry Peugeot nomme Christian Streiff qui sera démis début 2009. Ses cousins ne lui pardonneront pas ce choix, qu’ils considèrent comme une erreur de casting. Le 2 juin 2009, il déclare que les objectifs de la famille Peugeot sont « croissance, rentabilité et indépendance » et qu’elle « n’est pas du tout opposée à regarder un certain nombre d’alliances ou de rapprochements. […] Ce que nous voulons, c’est une stratégie de croissance et de rentabilité, dans laquelle nous restons indépendants ». Pourtant, en février 2014, il se résout à ce que la famille Peugeot ne soit plus le premier actionnaire lorsque sa part du capital est ramenée de 25,4% à 14% avec l’entrée au capital d’un groupe chinois. Plus récemment, l’aventure Peugeot se poursuit dans le cadre de Stellantis, issu du rapprochement avec le groupe Fiat-Chrysler pour former le 6e groupe automobile mondial en 2021, dont la famille Peugeot détient 7,2%.
Les meuniers du XVIIIe siècle peuvent être fiers de leurs nombreux descendants restés, pour l’essentiel (mais avec de brillantes exceptions), fidèles à leur région d’origine, du moins pour ce qui est de l’implantation industrielle.
[1] Le grand-bi est une bicyclette avec une grande roue avant munie d’un pédalier. L’invention en 1868 reviendrait à l’Alsacien Eugène Meyer, également créateur de la chaine de vélo.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP