Suisse et française (comme les Saussure), la famille Breguet s’est illustrée dans deux domaines industriels principaux, l’horlogerie et l’aviation, mais ses membres ont montré bien d’autres talents.
L’origine de la famille et du nom est clairement suisse, du canton de Neuchâtel. Les premiers Breguet identifiés se sont fait remarquer au sein de la religion réformée, l’un d’eux, Jehan Breguet, pasteur était proche de Calvin, il vécut à la fin du XVIe siècle. Quelques générations plus tard, les Breguet semblent alterner entre les activistes d’aubergiste[1] et celles de pasteur. Ainsi Louis Breguet (1608 – 16921 fut pasteur d’abord au Locle puis aux Verrières. Son fils, Jonas Breguet (1660 – 1711), fut aubergiste à l’enseigne du « Cheval Blanc » aux Verrières. Le fils de Jonas, Louis Breguet (1691 – 1720), fidèle au protestantisme, fut à nouveau pasteur. Enfin, Jonas-Louis (1719-1758), , fils du précédent, s’établit à Neuchâtel puis, vers 1751, retourna habiter aux Verrières pour pratiquer le commerce de marchand-épicier. Sa veuve, Susanne-Marguerite vendra, en 1759, la maison du « Cheval Blanc » avec son droit d’enseigne, aux frères Tattet. Elle se remariera avec l’un des frères, Joseph Tattet.
La proximité avec cette famille Tattet décide indirectement de la vocation et de la renommée future des Breguet. En effet, orphelin de père à l’âge de onze ans, Abraham-Louis Breguet (1747 – 1823), le fils Jonas-Louis, est élevé par son parâtre Joseph Tattet qui dispose d’un comptoir d’horlogerie à Paris. Abram-Louis suit un apprentissage chez un horloger de Versailles à partir de 1762. Le jeune homme profite des conseils et de l’enseignement de ses maîtres même si, dans son enfance, rien n’annonçait qu’il deviendrait un horloger prestigieux. Abraham-Louis Breguet, déjà remarquable horloger, se rend à Londres où il travaille assez longtemps, puis s’installe définitivement à Paris, au 51 du quai des Morfondus[2]. Il devient maître horloger en 1784 et travaille pour l’aristocratie dont la reine Marie-Antoinette. Neuf ans plus tard, Marat, ami d’Abraham-Louis, lui conseille de quitter la France et de se réfugier en Suisse, il lui fournit d’ailleurs un sauf-conduit. L’exilé s’établit tour à tour dans les villes de Genève, de Fribourg et du Locle. Abraham-Louis revient assez vite à Paris en 1795, fort de sa citoyenneté française acquise en 1792.
La maison Breguet atteint un haut niveau de renommée et rencontre le succès commercial. Dès lors, toute la carrière d’Abraham-Louis ne fut plus qu’une longue suite d’inventions et de perfectionnements. De toutes ces inventions, je citerai principalement celles relatives aux montres, bien que d’autres innovations notables concernent également de nombreux mécanismes pour les chronomètres et les pendules. Abraham-Louis fabrique tout d’abord des montres qu’il qualifie de « simples » parce qu’elles ne sont pas munies de complications mécaniques ou de prétention chronométrique. Il développe notamment des « montres à tact » qui possèdent une aiguille à l’extérieur de leur boite et douze boulons répartis autour d’elle. Lorsque l’on pousse l’aiguille jusqu’à ce qu’elle se bloque automatiquement, son positionnement par rapport aux douze boulons détermine l’heure. En 1783, il invente le « ressort-timbre » pour les montres à répétition. En 1790, il dévoile un dispositif anti-choc dit « pare-chute ». Breguet est avant tout connu dans le monde de l’horlogerie pour avoir inventé le « tourbillon ». Le tourbillon est le nom donné à un mécanisme qui permet d’équilibrer les différentes pièces qui se trouvent dans une montre.
En 1810, il fabrique la première montre-bracelet qu’il vend en 1812 à Caroline Murat, alors reine de Naples. Après la mort de Berthoud, Breguet fut choisi pour le remplacer comme horloger de la marine, et le Bureau des longitudes l’admit au nombre de ses membres. Puis, par ordonnance royale de 1816, il prit place à l’Académie des sciences, section de mécanique. Il était également chevalier de la Légion d’honneur. Lorsque la mort le surprit, Breguet s’occupait d’un grand travail sur l’horlogerie : la rédaction d’un traité d’horlogerie en deux sections : L’horlogerie dite civile et L’horlogerie à usage des sciences. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Il laisse après lui une longue liste de descendants qui s’illustrèrent dans le métier d’horloger
Antoine-Louis Breguet (1776-1858) est le fils unique d’Abraham-Louis Breguet. Il a 47 ans lorsqu’à la mort de son père, il prend la direction de la maison d’horlogerie. Il développe la fabrication de chronomètres pour la marine et remporte une médaille d’or à l’exposition de 1827. Il effectue plusieurs recherches dans le domaine de l’électricité, domaine d’étude que reprendra son fils Louis-Clément. La maison d’horlogerie poursuit son activité et procure des revenus permettant aux générations suivantes de s’adonner à d’autres disciplines scientifiques
Louis-Clément Breguet (1804 – 1883) est le fils d’Antoine-Louis. Il va s’adonner aux sciences physiques en plein essor à l’époque. Après des études au lycée Condorcet, il participe avec le physicien Antoine Masson à la mise au point d’une bobine d’induction, perfectionnée par Heinrich Daniel Ruhmkorff et qui rendit célèbre ce dernier (la bobine de Ruhmkorff). En 1844, il développa avec Alphonse Foy un télégraphe électrique à aiguille qui sera utilisé par les chemins de fer. Il fabrique également un miroir tournant, utilisé par Léon Foucault et par Hippolyte Fizeau pour mesurer la vitesse de la lumière en 1850. Il est élu membre libre de l’Académie des sciences en 1874. Son nom est inscrit sur la Tour Eiffel.
Antoine Breguet (1851 – 1882) est le fils du précédent. En 1870, alors qu’il est étudiant, Antoine Breguet est embauché dans le bataillon des mineurs auxiliaires du génie constitué par l’ingénieur en chef des mines Eugène Jacquot. Il participe à la défense de la capitale en 1870. Deux ans plus tard, il entre à l’École polytechnique, devenant ainsi le premier membre de sa famille à faire des études supérieures. À sa sortie de l’X, il entre dans l’entreprise familiale. Antoine Breguet s’intéresse aussi à l’électricité et construit une dynamo puis écrit un livre sur la théorie de la machine de Gramme publié en 1880. Il construit des appareils d’expériences et de laboratoire : électroaimants, bobine d’induction, condensateurs. En 1881, il transforme l’horlogerie familiale en société anonyme sous la dénomination « Maison Breguet » avec pour objet « la construction, l’installation et le commerce » de matériel électrique (télégraphie, téléphonie, signaux, éclairage, transmission de force à distance, etc.). Enseignant à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études (EPHE) ainsi que directeur de la Revue scientifique, à tout juste trente ans, Antoine est nommé chef du Service des installations à la première Exposition internationale de l’électricité et au Congrès des électriciens qui se tiennent à Paris en 1881. Avec Clément Ader[3], il présente le « théâtrophone », audition téléphonique de l’Opéra, qui constitue le plus grand succès de l’Exposition internationale. En même temps, il lance la construction de nouveaux ateliers au 19, rue Didot dans le quartier de Plaisance (14e arrondissement) dont il ne verra pas l’achèvement (1822). Surmené, Antoine Breguet succombe à 31 ans, le 8 juillet 1882, à un accident cardio-vasculaire. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.
Louise Breguet (1847 – 1930), la sœur d’Antoine, épouse le célèbre librettiste Ludovic Halévy. Elle sera la grand-mère de Louis Joxe et l’arrière-grand-mère de Pierre Joxe, tous deux ministres de la République (avec des couleurs politiques différentes).
Les générations suivantes vont s’orienter vers un domaine nouveau, celui de l’aviation.
Louis-Charles Breguet, (1880 – 1955) fils d’Antoine, est diplômé de l’École supérieure d’électricité, promotion 1903. Avec son frère Jacques (1881 – 1939), polytechnicien d’un an son cadet, il commence à concevoir un « gyroplane » (l’ancêtre de l’hélicoptère) avec des ailes flexibles en 1907. Il crée la Société anonyme des ateliers d’aviation Louis Breguet et construit son premier avion en 1909, qui bat le record de vitesse sur 10 km en 1911. En 1912, il construit son premier hydravion. Durant la Première Guerre mondiale il fournit des avions notamment de reconnaissance et le bombardier Breguet XIV (plus de 8 000 exemplaires). Il est l’un des premiers à construire un avion presque entièrement en aluminium. En février 1919, il fonde la Compagnie des messageries aériennes, qui est à l’origine d’Air France et fournit de nombreux avions pour l’Aéropostale. À partir de 1924, il connaît un autre grand succès, le Breguet XIX construit à plus de 2 000 exemplaires, bombardier spécialisé dans les grands raids qui favoriseront la mise sur le marché de variantes civiles. La Société se spécialise en vol à grand rayon d’action et détiendra plusieurs records de distance franchissable. Du 1er au 2 septembre 1930, un Breguet XIX spécialement modifié et baptisé » ? » (Point d’Interrogation) réussi le premier vol transatlantique d’est en ouest. Le vol de Paris à New York dura plus de 39 heures. Sportif, Louis Charles Breguet a participé en 1924 aux Jeux olympiques d’été et a remporté une médaille de bronze en tant que barreur de son voilier Namoussa.
Louis-Charles Breguet est grand officier de la légion d’honneur et croix de guerre, il meurt à Saint-Germain-en-Laye, le 4 mai 1955 à l’âge de 75 ans, il repose au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Il est l’arrière-grand-père de l’actrice Clémentine Célarié.
Madeleine Breguet (1878 – 1900), la sœur de Louis-Charles et de Jacques, a épousé Jacques Bizet, le fils du compositeur Georges Bizet.
Quant aux sociétés industrielles fondées par la dynastie, elles ont perduré sous de nouvelles appellations.
En 1967, la société d’avions Breguet fusionne avec la société des avions Marcel Dassault, toujours fameuse dans la construction aéronautique.
À la suite d’une faillite en 1987, la maison d’horlogerie Breguet est rachetée par Investcorp puis par le Swatch Group en 1999. Elle est depuis localisée à L’Abbaye, village de la vallée de Joux dans le canton de Vaud en Suisse où la société Nouvelle Lémania lui est rattachée.
[1] Aux Verrières, commune frontalière suisse, près de Pontarlier.
[2] Aujourd’hui le 36 quai de l’Horloge à Paris.
[3]Clément Ader, plus connu comme pionnier de l’aviation, s’est aussi illustré dans cette invention très prisée à l’époque (notamment par Marcel Proust). Le système fonctionnera au moins jusqu’à fin 1936. Sa réussite aura permis à Clément Ader de réunir assez d’argent pour se consacrer à l’aviation.
–
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP