Le grand maître contemporain des palindromes en France se nomme Jacques Perry-Salkow[1]. C’est aussi un expert en anagrammes[2] mais ce serait l’objet d’un autre billet. Un palindrome est constitué par des mots ou des phrases qui peuvent se lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche en faisant abstraction de la ponctuation, des accents ou des majuscules… comme le titre de ce billet, qui a pu vous paraître bizarre !
On prête l’invention des palindromes au poète grec Sotades (300 av. J.-C.). Les Romains en usèrent également. L’un des palindromes les plus anciens est attribué à Virgile : « In girum imus nocte ecce et consumimur igni[3] ». En France, le palindrome fut pratiqué abondamment au XIXe siècle, notamment par Victor Hugo, grand amateur de jeux avec les mots. Au début de la deuxième moitié du XXe siècle, le groupe littéraire « Oulipo » animé par Georges Pérec a ressuscité le genre et l’a nourri d’inventions originales. Jacques Perry-Salkow s’y adonne avec succès et, avec Frédéric Schmitter, un ami partageant la même passion, il a écrit sous le titre également palindromique Sorel Eros (2020), le palindrome le plus long de la langue française. Avec 10 001 signes il pulvérise la performance de Georges Perec (1247 signes pour Au moulin d’Andé conçu en 1969). Loin de moi l’intention ni la capacité de vouloir les égaler, je me bornerai à citer quelques trouvailles qui, plus que d’autres, m’ont séduit.
Commençons modestement par le plus grand mot français palindrome qui est « ressasser », ce que nous aimons tant faire quand nous avons un bon mot ! Quelques palindromes se trouvent aussi dans les noms de villes comme : Noyon, Senones, Laval. Mais il est plus stimulant de passer aux phrases palindromes surtout lorsqu’elles conservent un sens compréhensible. Je vous en livre quelques-unes de mes préférées.
« À l’étape, épate-la ! » (Louise de Vilmorin) ou encore, du même auteur : « Eh ! ça va, la vache ? ».
« Et la marine va, papa, venir à Malte » (Victor Hugo).
« Éric notre valet alla te laver ton ciré », où « Éric » peut être remplacé par « Luc », avec une conclusion plus osée (Jacques Capelovici). Du même auteur, un palindrome souvent repris : « Ésope reste ici et se repose ».
J’en viens à ceux de Perry-Salkow qui recherche toujours la cohérence et le message : « À Rome, mère se remémora », « fiancé va avec naïf », « stop misères, impôts ! », « le bon élève rêve le Nobel » et « rue Verlaine, génial rêveur ». Pas mal, non !
D’autres palindromes se trouvent répétés sans que l’on connaisse vraiment le premier auteur. « Il a mon nom, Ali », « un drôle de lord nu », « élu par cette crapule », étaient connus au début du XXe siècle pour avoir été publiés dans le journal humoristique Le Pêle-mêle en décembre 1902.
Pour conclure cette énumération, je vous livre une phrase plus longue mais sensée, un brin poétique, de maître Perry-Salkow. « Et ici nul n’a école. L’or a pâli. Ciel, lieu cerné. J’en recueille ici la parole, l’océan, l’unicité. »
La langue française n’a pas l’exclusivité de ces jeux sur les mots mais je vous épargne les palindromes en tuc, arabe ou hongrois ! On peut aussi commettre des palindromes avec les chiffres. Les dates s’y prêtent bien. La date la plus récente en forme de palindrome (en déplaçant comme il convient les barres) était cette année en février, le 12/02/2021, la prochaine sera en 2022, également en février, le 22/02/2022. Les amateurs d’arithmétique pourront se passionner pour les additions palindromiques comme : 1234 + 8765 = 5678 + 4321.
J’espère ne pas vous avoir saouler car « l’amer vain enivre mal ».
[1] Jacques Perry-Salkow est pianiste et compositeur. Il se passionne pour les littératures à contraintes, publie dans la revue « Formules ». Il a notamment écrit Le Vivarium des palindromes (Fayard, 2017) dont sont extraits certains des palindromes cités.
[2] En lien avec respectivement Etienne Klein, Sylvain Tesson et Raphaël Enthoven, il a composé plusieurs ouvrages sur les anagrammes : Anagrammes renversantes, Anagrammes à la folie et Anagrammes pour lire dans les pensées.
[3] « Nous tournoyons dans la nuit, et nous voilà consumés par le feu. »
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Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP