On sait le succès de l’expression « en même temps », associée pour beaucoup à la mandature d’Emmanuel Macron au point parfois d’en paraître la ligne de conduite politique principale. Cela m’a donné envie d’en rechercher l’origine et les racines politiques. Le premier à avoir employé l’expression est, semble-t-il, le général de Gaulle[1],définissant le gaullisme : « C’est être de gauche et de droite à la fois, vous voyez ce que je veux dire, à la fois ! C’est être passionné et raisonnable, mais en même temps ! C’est être pour le mouvement et pour l’ordre, mais conjointement ! » De Gaulle donne également des exemples plus terre à terre sur sa conception du « en même temps ». C’est la métaphore de la ménagère qui est pour le progrès mais pour l’ordre aussi, en même temps. Le chef de l’Etat[2] s’adresse aux Français : « Il y a, pour ce qui est de la France, ce qui se passe dans une maison. La maîtresse de maison, la ménagère veut avoir un aspirateur, un frigidaire, une machine à laver… et même, si c’est possible, qu’on ait une auto. Ça, c’est le mouvement…En même temps, elle ne veut pas que son mari s’en aille bambocher de toutes parts, que les garçons mettent les pieds sur la table et que les filles ne rentrent pas la nuit…Ça, c’est l’ordre ! La ménagère veut le progrès, mais ne veut pas la pagaille. Eh bien, c’est vrai aussi pour la France. Il faut le progrès et pas la pagaille. » Ainsi qu’on le voit, le « en même temps », la synchronie du Général n’est pas une chose et son contraire, c’est la conciliation de deux impératifs complémentaires qui relèvent de registres différents mais auxquels il faut songer en même temps.
L’acception récente, du moins celle qui transparaît des propos et des gestes du président actuel de la République, relève d’un autre principe. Il s’agirait de concilier deux choses contradictoires, antagonistes. En gros, une chose et son contraire. On est pour le nucléaire, on en dit du bien mais, dans le même temps, on arrête la centrale de Fessenheim en état de fonctionnement. On condamne les « violences policières » en employant volontairement le terme mais on défend la police par un texte de loi spécifique. On augmente les dépenses publiques de manière déraisonnable et on garantit, en même temps, la non-augmentation des impôts. La crise sanitaire du coronavirus a été l’occasion de multiplier les injonctions contradictoires du même genre : le masque est inutile puis il faut le porter ; on se confine mais il faut aller voter (le premier tour des municipales en mars 2020). Dernièrement : les personnes ayant été contaminées par la covid n’ont pas à être vaccinées mais elles peuvent l’être. On avait eu naguère la même palinodie pour la nouvelle orthographe : elle est obligatoire mais on peut conserver l’ancienne. Pour le code de la route, même ambivalence : les sens interdits ne sont pas interdits aux cyclistes. J’attends impatiemment le jour où l’on va nous dire : il faut rouler à droite mais vous pouvez aussi rouler à gauche !
Cette démarche répétitive donne le tournis, elle confine à l’indécision voire à la schizophrénie. Elle relève de l’oxymore, c’est une sorte « d’obscure clarté » permanente. Elle est en quadrature avec la règle intellectuelle qui sous-tend toute la logique occidentale depuis les philosophes Grecs : le principe du tiers exclu. Autrement dit, une chose est vraie ou fausse mais pas les deux à la fois. Certes, certains énoncés de la mécanique quantique contredisent cette approche (cf. la célèbre expérience de pensée du chat de Shrödinger, mort ou vivant à la fois). De même, certaines écoles du bouddhisme[3] professent une logique remettant en cause le principe de non contradiction et celui du tiers exclu. Toutefois je doute qu’il faille inculquer des notions de physique quantique ou de réflexion bouddhiste au citoyen lambda de notre beau pays pour lui faire comprendre une ligne politique aussi hésitante ! D’autant que la contradiction peut être simultanée comme consécutive à l’affirmation. Telle vérité un jour devient relative quelques semaines plus tard, si elle n’est pas contredite purement et simplement. La crise sanitaire a multiplié les exemples de ces revirements de doctrine, qui seraient excusables si les affirmations n’étaient pas assénées, dans un sens ou dans l’autre, avec un aplomb péremptoire et un entêtement arrogant dont le ministre de la santé est le parangon.
Il y a cependant une exception « gaullienne » qui reste pertinente, c’est la prise en compte de la santé – en même temps – que la préservation de l’économie. Il s’agit bien de registres différents mais qui méritent qu’on en recherche la conciliation. Curieusement, le président Macron n’a jamais proféré sa formule fétiche à ce sujet. Il a préféré employer le slogan du « quoi qu’il en coûte ! » qui donne le sentiment qu’il privilégie la santé à l’économie. En est-on si sûr, d’ailleurs ?
La pratique actuelle du « en même temps », supposée donner raison à tous, ne fait que répandre la confusion, l’embrouillamini et l’anxiété par perte de repères. C’est une approche détestable qui devient caricaturale et, de mon point de vue, contreproductive et nuisible. Au-delà du général de Gaulle, quelques siècles plus tôt, Pascal nous avait pourtant enseigné que la recherche de la conciliation d’objectifs supérieurs était une bonne chose. Encore faut-il savoir choisir les bons thèmes et sortir des oxymores ! « La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique […] Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est un souverain bien[4]» ; En d’autres termes, la synchronie héroïque vaut mieux que la synchronie de nouveau monde !
[1]Cité par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Gallimard, 1994
[2] Réponse aux questions de Michel Droit en 1965 lors de la campagne électorale présidentielle.
[3] Il s’agit principalement du Madhyamaka ou « Voie du milieu », fondée au IIe et IIIe siècle après Jésus-Christ.
[4] Blaise Pascal, Les Pensées, Raisons des effets.
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP