Le filleul est très connu, il porte le prénom de son parrain (et peut-être aussi ses gènes). C’est l’une de nos gloires littéraires du XIXe siècle, j’ai nommé Victor Hugo. Son parrain se nomme Victor Claude Alexandre Fanneau de La Horie. Il est né le 5 janvier 1766 à Javron-les-Chapelles (Mayenne), huitième d’une famille de seize enfants. Sa famille est de petite noblesse, juges de paix ou militaires.

Victor Fanneau de La Horie fait ses études au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il entame une carrière militaire de mousquetaire, interrompue par la Révolution. Patriote, il s’enrôle alors dans le bataillon de la Mayenne en mars 1793. Son avancement est rapide. Le 1er juillet 1793, il est sous-lieutenant à l’armée de Rhin-et-Moselle, puis chef de bataillon le 9 août 1797. Colonel en 1799, il est attaché au ministère de la Guerre, et, le 5 février 1799, il est nommé adjudant-général chef de brigade à 33 ans. Il rejoint Moreau en Italie comme chef d’état-major et s’attache à sa carrière. Le 11 décembre 1799, Moreau est nommé commandant en chef de l’armée du Rhin, et La Horie le suit. Il y retrouve un certain Léopold Hugo qui l’a rejoint à Bâle et qu’on retrouve souvent dans son sillage. Il est promu général de brigade le 11 mai 1800. Nommé général de division par Moreau sur le champ de bataille de Hohenlinden, il se voit refuser la ratification de son grade par le Premier consul, probablement en raison d’une altercation avec le général Charles Leclerc, beau-frère de Bonaparte. Il finit néanmoins par être confirmé dans son grade le 23 septembre 1801.

Sa carrière très prometteuse se trouve gravement compromise par son implication (vraisemblablement à tort) dans la conspiration de Pichegru et du général Moreau. Quand Moreau est arrêté et jugé, la carrière de son chef d’état-major est brisée. En 1801 La Horie est mis d’office à la retraite à l’âge de 37 ans et doit se retirer dans sa propriété de Saint-Just à Vernon. Les poursuites s’accentuent et il est condamné à mort en 1804, ses biens sont séquestrés. La surveillance se relâche un peu. Traqué, il se cache un moment en Normandie vers 1807, puis chez la femme de son ancien collège, le général Hugo, au faubourg Saint-Jacques où elle a loué le couvent es Feuillantines. En fait Il semble que La Horie ait été l’amant de la mère de Victor Hugo dès le début des années 1800. Pour de nombreux biographes de Sophie Trébuchet il y a peu de doutes qu’il soit le père de l’écrivain, né en 1802. Outre le prénom, la dissemblance physique semblait indéniable entre Victor et ses deux frères ainés, poupins comme leur père officiel, Léopold Hugo. En tout cas ce fut le grand amour de Sophie, plutôt malheureuse dans son mariage avec le général Hugo.

Victor Fanneau doit donc se cacher pendant sept ans. Il trouve son dernier refuge dans l’ancien couvent des Feuillantines qu’habitent un temps Sophie Hugo et ses trois enfants. À partir du milieu de l’année 1809, il se cache au fond du jardin dans la sacristie d’une chapelle en ruine où on lui a apporté un lit, une table, une toilette et deux chaises. Présenté aux enfants comme un parent, La Horie joue les précepteurs et semble avoir une affection particulière pour Victor Hugo. Père, au moins de substitution, il devient la figure de référence du jeune Hugo. La Horie écrit au mois de juin 1810 une lettre de plusieurs pages pour exposer à l’Empereur la netteté de sa conduite, et nier toute participation à la conspiration de Pichegru et Moreau. Mais, filé par la police impériale, il tombe dans un piège tendu par le ministre de la police Savary et il est arrêté aux Feuillantines « chez une dame nommée Hugot », à la suite d’une trahison. Incarcéré le 30 octobre 1810, il est enfermé, en tant que qu’officier général, au donjon de Vincennes où il reçoit fréquemment la visite de Sophie Hugo. Il est transféré en juillet 1812 à la prison de La Force à Paris. Là, on lui propose le bannissement à perpétuité en Amérique, qu’il refuse faute d’argent pour s’installer et sans doute pour ne pas s’éloigner de Sophie.

Sa vie aurait pu se poursuivre entre quatre murs jusqu’à une éventuelle grâce impériale ou à la chute de l’Empire. Mais, malheureusement pour lui, il fut impliqué dans la conspiration du général Malet en octobre 1812. Ce dernier, prétendant la mort de l’Empereur de retour de la désastreuse campagne de Russie, tenta un coup d’Etat en vue d’une restauration de la monarchie. La conspiration libéra Fanneau et voulut en faire un ministre de la police en lieu et place de Savary. La Horie, chargé d’arrêter Savary, le traite avec générosité, mais il est lui-même arrêté par le général Laborde le 22 octobre à 10 h lorsque la situation se retourne. Les conspirateurs, dont il fait partie, sont condamnés de manière très expéditive le 29 octobre 1812 et fusillés dans la plaine de Grenelle le jour même à quatre heures de l’après-midi. Napoléon jugea très sévèrement cette célérité. « C’est une fusillade, c’est du sang », s’écria-t-il à la nouvelle du jugement, « quelle impression cela va faire en France !». À peine arrivé à Paris, Napoléon fit venir Cambacérès, l’archichancelier, et dès qu’il l’aperçut, il courut à lui courroucé : « Ah ! vous voilà, qui vous a permis de faire fusiller mes officiers ? Pourquoi m’avez-vous privé du plus beau droit du souverain, celui de faire grâce ; vous êtes bien coupable ! » Sophie Hugo suivra le convoi mortuaire jusqu’au cimetière de Vaugirard, elle fut inconsolable. Elle se sépara de son mari en 1818, très inconstant depuis longtemps, et elle mourut deux ans plus tard en 1821 à 49 ans, d’une mauvaise fièvre après avoir pris froid.

Ainsi disparut à 46 ans le parrain de Victor Hugo. Ce dernier lui voua toujours une grande admiration, tout en écartant une éventuelle paternité, que d’aucuns lui avaient sûrement suggérée. En particulier il conserva dans ses objets familiers l’ouvrage de Tacite que Victor Fanneau lui avait confié la veille de son arrestation. Victor Hugo n’avait que huit ans.

C’est un clin d’œil de l’histoire que de constater que Victor Hugo et Napoléon III, grands adversaires politiques, ont au moins un point commun : l’un et l’autre ne sont vraisemblablement pas les fils de leurs pères. Victor Hugo est le fils probable de Victor Fanneau. Louis-Napoléon[1] Bonaparte est probablement le fils d’un amant d’Hortense de Beauharnais, Charles de Flahaut, lui-même fils naturel de Talleyrand. Le monde est petit…

[1] Le futur Napoléon III avait un troisième prénom, Charles, et son père pour l’état-civil, Louis Bonaparte, ne l’a reconnu que sur les instances appuyées de son frère Napoléon 1er.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP