Le 15 mars 2021, la presse s’émeut de l’annonce par quelques musées parisiens (dont Le Louvre et Carnavalet) de l’abandon des chiffres romains pour la numérotation des siècles et des monarques dans la description des œuvres.
Le Corriere della Sera, principal quotidien de la péninsule italienne, écrit dans son édition du 17 mars 2021[1], en première page, un commentaire lapidaire et éloquent : « Louis 14 ». Son vice-directeur, Massimo Gramellini, fulmine : « Cette histoire des chiffres romains représente une synthèse parfaite de la catastrophe culturelle en cours : d’abord on n’enseigne pas les choses, puis on les élimine pour que ceux qui les ignorent ne se sentent pas mal à l’aise », écrit-il en rappelant que « les obstacles servent à apprendre à sauter ».
La responsable du Musée Carnavalet, donne dans le Figaro du même jour quelques explications laborieuses : « Il y a juste une volonté de s’adresser à tous les publics, à tous les visiteurs étrangers, aux personnes en situation de handicap psychique, qui peuvent être gênés dans leur compréhension. » On peut se demander quels sont les étrangers réellement concernés et quel est le handicap psychique que l’on veut traiter !
Mais pourquoi laisser aux seuls musées le privilège de faciliter la vie des incultes ? Mesdames et Messieurs les réformateurs, simplificateurs, éducateurs ou rééducateurs, songez à vous occuper du reste.
- Il va falloir changer le cadran des horloges publiques toujours en chiffres romains, car il doit y avoir tout autant de « handicapés psychiques » sur la voie publique que dans les musées, sinon davantage.
- Les tailles sur les vêtements doivent être corrigées. Ainsi le XL va devenir le 40 quitte à se trouver plus grand que le simple L qui vaut 50 ! Ah non, me direz-vous, il s’agit d’une expression autre, « extra-large » ou « large ». Mais c’est de l’anglais, comment traduire ça pour les Gaulois ? Pas la peine, le globish, ils adorent et, au demeurant, ils n’y comprennent goutte !
- Les films X vont devenir des films 10. Mais non, c’est X comme… comme quoi au fait[2]?
- Il est vrai que l’arithmétique des Romains est dérangeante puisque DIX vaut 509 et qu’adresser son CV ne signifie pas en envoyer 105 !
- Va-t-on acheter un 400 plutôt qu’un CD ? Au fait, un CDI fait 401 alors que CDD vaut beaucoup plus (900) et devrait plutôt s’écrire DCD. Qu’en pensent les salariés encore vivants ?
D’où nous vient cette mode débile, adoptée un peu vite par le monde muséeux ? Des Etats-Unis, bien sûr, une fois de plus ! Comme toutes ces pratiques qui font baver d’envie une génération de communicants ne s’étant jamais remis de leur année sabbatique dans une université gauchisante de l’autre côté de l’Atlantique. La racine du mal viendrait aussi en partie d’Hollywood et de la manie des « suites » de film. Il fallait bien numéroter les épisodes pour conserver le titre original qui avait cartonné dans les billetteries. On a eu des séries sur les « Rambo », « Rocky » ou « Star War » ou encore « Superman » et « Star Treck ». Au début dans les années 80, le chiffre romain était de rigueur, cela donnait un aspect sérieux à la série. On a eu ainsi Rambo I, II, III, etc. Mais au début des années 90, soit pour se démarquer, soit par goût du changement, certains titres de suite ont adopté les chiffres arabes comme « Terminator » ou « Expandable », quitte même à abandonner toute numérotation. Les chiffres romains ont fait « ringard » et ne sont restés que pour des films, en général médiocres, de série B. Deux choses à retenir : primo les anglo-saxons maîtrisent parfaitement les chiffres romains, ceux-ci sont courants en anglais et les « touristes », familiers de cette langue, doivent en connaître la signification ; secundo la mode est changeante et qui peut dire que même Hollywood ne reviendra pas prochainement aux chiffres romains ! Que les conservateurs de musée et leurs communicants s’occupent d’abord de l’accessibilité des salles aux handicapés physiques, et qu’ils traitent les autres handicaps après avoir soigné leurs propres névroses déconstruisantes et intersectionnelles.
[1] Mentionnée comme étant l’édition du XVII/III/MMXXI.
[2] Le législateur français s’est inspiré en 1968 du classement américain de l’époque pour créer cette catégorie. En 1968, la Motion Picture Association of America avait mis en place le système suivant de notation des films :
G : films tout public (« General audiences ») ;
M : films tout public mais avec autorisation parentale pour les enfants (« Mature audiences ») ;
R : films interdits aux enfants s’ils ne sont pas accompagnés d’un adulte (« Restricted ») ;
X : films interdits aux moins de 17 ans. (« X » comme…rien, donc)
Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP