Conjointement au déplacement en Suisse, l’autre moitié de la Mission 2016, constituée de Solenne Barat-Leclerc (AP-HP), Philippe Dessertine (ATOS) , Aude Kempf (AP-HP), Julien Réau (Transdev) , Marc-Stéphane Zumbiehl (RTE) et Nicola Lindertz (ENA / Ambassade de Finlande) se sont rendus à Londres et à Barcelone, pour découvrir les tendances de l’innovation dans ces deux métropoles aux caractères bien distincts.
Le voyage à Londres s’est déroulé à la fin du mois de mai – quelques semaines avant le référendum britannique sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Le débat général sur le référendum se poursuivait, mais lors de nos entretiens, le vote ne s’est pas présenté comme un sujet décisif, sauf pour évoquer les avantages de l’Union en termes de la libre circulation des personnes et de l’accès aux financements européens, par exemple. Nous n’avons donc pas abordé la possibilité du Brexit – sans doute une bonne illustration du fait qu’à Londres, le vote était fermement orienté vers un maintien en Europe. Il faut donc considérer nos échanges dans un contexte désormais changé, dominé par des incertitudes politiques et économiques.
Londres est la métropole internationale par excellence, où la diversité est une composante du quotidien et où le croisement d’idées est naturel, et même recherché. On peut donc supposer légitimement qu’elle offre un contexte propice à l’innovation, tant cette dernière se nourrit de la rencontre d’influences, de cultures, de représentations diverses. Pour autant, il est reconnu que l’innovation ne se crée pas dans le vide – il faut la soutenir et la développer, aussi bien dans la recherche et au niveau des universités qu’au niveau des entreprises. « Notre pays a des innovateurs brillants, mais parfois nous n’arrivons pas à valoriser leurs travaux » nous a confié un interlocuteur. Pour améliorer cette valorisation, le gouvernement britannique soutient les innovations à la hauteur de 700 millions de livres par an, mais tout aussi importante que le financement, est la création de réseaux et de lieux de rencontre pour favoriser la collaboration.
Car le sentiment que l’innovation se fait surtout dans un esprit collaboratif est fortement présent à Londres. Au niveau régional, c’est le triangle Londres (numérique, finance) + Oxford (manufacture) + Cambridge (life science) qui a été évoqué comme constituant un écosystème performant. Mais c’est tout autant dans les organisations et les entreprises qu’il faut mettre en place des structures qui favorisent la communication et les échanges permettant à innover, comme en témoigne ce que nous avons pu observer par exemple au sein de Transport for London, une administration publique qui s’engage résolument dans l’ expérimentation et la conduite de projets agiles hors du cadre habituel.
Les rencontres réalisées dans les excellentes universités pour lesquelles Londres est incontestablement reconnue nous ont permis d’examiner une approche selon laquelle l’innovation est quelque chose qui s’apprend et qui peut être enseigné. En même temps, il y a la conviction que l’innovation naît de la rencontre entre disciplines et entre personnes issues de disciplines très diverses, et que cette diversité doit être nourri. L’approche porté par l’Entrepreneurship Institute au King’s College nous a particulièrement marqué. L’université met en place une offre d’apprentissage de l’entrepreneuriat destinée à tous niveaux : étudiants, anciens élèves, cadres, tout dans le but de « démystifier » le processus entrepreneurial. Notre relation avec cette institution remarquable va se poursuivre, avec une session d’approfondissement prévu à Londres en juillet pour une partie de l’équipe de la Mission.
Un autre aspect de l’innovation souligné de façon récurrente lors de nos entretiens est l’attitude envers l’échec. « Il faut reconnaître que vous allez échouer avant d’avoir du succès » nous a-t-on signalé. L’échec en soi n’est pas important, ce sont surtout les enseignements tirés de l’échec qui comptent. Sans échec, on ne peut améliorer ni l’innovation, ni le business model. Nous avons même pris connaissance de Failure Prizes, des célébrations de l’échec où les collaborateurs sont invités à renseigner dans une plateforme leurs échecs et surtout les enseignements tirés, avec un prix pour la meilleure explication.
La méthode d’innovation la plus significative qui a surgi de nos échanges est surtout celle de la création d’un contexte protégé, un peu à part, pour innover. L’innovation ne se passe généralement pas dans le quotidien. Il faut donc un autre cadre, un échange particulier, dans lequel les participants peuvent se permettre de développer leurs idées librement sans crainte de critique immédiate. La métaphore du sandbox, le bac à sable, nous est revenue souvent : l’idée d’un bac à sable bienveillant, qui permet de visionner, d’expérimenter, de collaborer, d’échouer, pour créer quelque chose de nouveau et d’inédit.
Les deux jours à Londres nous ont également permis, enfin, de découvrir de plus près la notion de l’innovation sociale. Développée dans la période suivant la crise financière et reposant en partie sur la forte tradition philanthropique en Angleterre, l’innovation sociale est vue comme une manière de faire mieux avec moins de ressources pour le bienfait de la société. Dans cette nouvelle optique, l’objectif est la co-création, la collaboration, le « faire ensemble » – faire avec les personnes concernées et ne plus faire pour elles. Nous avons pu découvrir un exemple très intéressant de co-création en vue de la transformation d’un quartier et de ses habitants, à laquelle est associée le défi de transférer cette expérience à d’autres contextes et de la valoriser sur une échelle plus grande. La question du scale up ne se pose ainsi pas que pour les entreprises à but lucratif mais tout autant que pour les acteurs de l’innovation sociale.
Cette expérience londonienne, courte mais riche, nous a permis de concevoir que l’innovation britannique repose sur trois fondamentaux : en premier lieu, un pragmatisme et une volonté d’avancer ; en deuxième lieu, une liberté de parole apprise dès le jeune âge, qui se traduit également en une liberté d’action et le droit d’échouer ; et en troisième lieu, une ouverture vers la diversité et la collaboration. Les deux premiers constituent des qualités qui vont probablement aider le pays à surmonter les incertitudes actuelles – et nous espérons qu’au final, l’esprit ouvert que nous avons pu observer restera une qualité britannique distinctive, source d’inspiration.
Nicola Lindertz, responsable de l’organisation du voyage à Londres, diplômée de l’ENA et Ministre-Conseiller à l’Ambassade de Finlande à Paris.
Les 23 et 24 mai dernier une partie de la mission FNEP 2016 s’est rendue à Barcelone dans le cadre de notre étude sur « la culture de l’innovation ». Deux jours, c’est peu pour prétendre comprendre et analyser une ville telle que Barcelone. Cependant, les nombreux entretiens que nous avons eus avec des organismes publics, le consul général de France, des universités, des entrepeneurs nous ont fourni des indications précieuses sur l’économie de la ville et sur sa capacité d’innovation, indications qui vont certainement alimenter notre étude.
D’une manière générale, Barcelone nous est apparue comme une ville dynamique et prospère, malgré la crise (ce qui ne semble pas être le cas dans le reste de la Catalogne). Le riche passé industriel est encore très visible, notamment à travers de nombreux anciens bâtiments qui ont été reconvertis en pépinières d’entreprises ou centres d’exposition. Plus marquant, nous avons décelé une continuité économique de la ville entre l’industrie du 19ème siècle et l’économie du 21ème siècle. D’abord, Barcelone semble garder une un tissu important de PME ; nous avons par exemple rencontré une start-up qui fait fabriquer des capteurs pour ville intelligente dans des entreprises uniquement locales. Ensuite, il y a eu à Barcelone une sorte de continuum logique entre une activité industrielle lourde, puis une forte orientation vers le domaine des télécommunications (années 70), et enfin une position de leader dans le numérique (« mobile world capital », « Smart City »).
Nous avons rencontré de puissants organismes publics de promotion de l’innovation et de l’entreprise. Ces organismes émanent de la ville de Barcelone ou du gouvernement de Catalogne. L’empreinte de l’état espagnol semble en revanche beaucoup plus faible. Un des fils conducteurs de l’intervention publique est le concept de « Smart City », c’est-à-dire une ville où le numérique et la technologie permettent de mieux optimiser les ressources (par exemple, optimiser les collectes de déchets en fonction du remplissage des bennes), de mieux préserver l’environnement, d’améliorer la cohésion sociale (par exemple, en évitant l’isolement des personnes âgées). Il y eu en 2015 un virage politique important à Barcelone avec l’arrivée au pouvoir de « Podemos » ; d’après nos interlocuteurs, ce virage se traduit par un accent plus fort mis sur les enjeux sociaux de la Smart City, mais il n’y a pas eu de remise en cause fondamentale de l’ambition numérique de Barcelone, signe supplémentaire du pragmatisme des catalans qui nous a souvent été vanté. L’influence publique se manifeste notamment par des pépinières de smart-up et des contrats publics d’installation de capteurs dans la ville.
La ville de Barcelone est une terre d’accueil pour les innovateurs dans le domaine du numérique. Au-delà de l’impulsion publique mentionnée juste au-dessus, nous avons trouvé à Barcelone l’exemple type d’un écosystème pour l’innovation : des incubateurs, des PME qui fabriquent des composants, des expérimentations SMART nombreuses dans la ville, des universités performantes et liées aux entreprises. Il est indéniable que Barcelone attire des talents venant de l’extérieur grâce à cet environnement favorable, mais aussi grâce à son rayonnement culturel et sa qualité de vie palpable dès les premiers pas.
Nous pensons avoir capté un esprit d’entreprendre des catalans (« culture de makers »), une fierté collective autour du riche patrimoine industriel et culturel local et une volonté collective de maintenir Barcelone dans sa position de moteur européen, enfin une cohésion entre le public, les entreprises et les universités pour avancer dans le même sens. Ce sont sans doute des indices forts d’une culture de l’innovation.
Marc-Stéphan Zumbiehl est Chef de Pôle du SEDRE de Lille (Réseau de Transport d’Electricité)