Après son premier voyage en Allemagne, la moitié de la mission 2016 s’est rendue en Suisse. Accompagnés de Nicole Lefour, Responsable édition & médias de la FNEP, Etienne Lissillour (AP-HP), Brahim Ballouk (Air France-KLM) , Paul Antoine Nguyen (Orange), Adrien Lavayssière (Groupe CDC) et Laurent Boutin (SNCF Réseau) ont successivement rencontré les acteurs de l’innovation des écosystèmes de Zurich et Lausanne.
La Suisse est « le pays de l’innovation ». Elle occupe la première place du classement du World Economic Forum (WEF) pour l’innovation et cela depuis plusieurs années. Nous avons essayé au travers nos entretiens d’identifier les facteurs de cette réussite.
La Suisse possède un secteur manufacturier important (26% contre 20 % en France). En produisant on«apprend», puis on s’intéresse à la recherche et au développement et finalement à l’innovation. Cette assertion nous la vérifierons aussi lors de notre voyage en Chine fin juin. L’innovation « à la suisse », c’est donc avant tout une innovation incrémentale.
Le marché domestique helvétique est petit. Cela nécessite pour les acteurs d’aller vite à l’international en développant des produits de pointe pour garder un avantage. L’innovation est donc essentielle pour ce pays. La taille du marché intérieur et du pays favorisent également l’immigration de profils internationaux très qualifiés qui favorisent l’innovation en complémentarité des profils formés en Suisse.
La Suisse est un pays de culture économique libérale et a un attachement fort à la valeur « travail ». Cela reste néanmoins un libéralisme contrôlé avec à la fois des secteurs économiques protégés –l’agriculture, les services postaux par exemple- et un secteur industriel très ouvert. Le licenciement est facile mais avec un taux de chômage à 3.5% le souci des entreprises est le turn over. Elles s’attachent donc à mettre en place les conditions de travail pour garder leur personnel.
En lien avec cette culture libérale, les suisses n’acceptent pas les contraintes et la trop importante ingérence du public. La logique helvète est que l’intention vient de l’entreprise, l’Etat suit…Quelques dispositifs publics de financement de l’innovation existent mais sont considérés comme redondant par les acteurs que nous avons rencontrés. Dans tous les cas, les aides financières d’Etat ne sont jamais, sauf rares exceptions, affectées directement aux entreprises.
Lors de nos interviews, l’aversion au risque est revenue souvent dans les propos de nos interlocuteurs comme une caractéristique majeure du pays.
Le pouvoir est considéré comme un risque. La règle pour y faire face est la décision partagée. Ce gout du contre-pouvoir permet l’inclusion et donc une société civile ou le dialogue, le consensus ont toute leur place.
Cette aversion au risque se retrouve aussi dans la difficulté de financement des start up dans la phase post « early stages ». Au « pays de la banque », leur financement est difficile. Les banques sont frileuses et il existe peu de « capital risk ». Les « pépites » se tournent vers des « Venture Capital » étrangers. La Suisse en a pris conscience récemment et s’attache à résoudre le problème pour ne pas voir une fuite des start up.
Parmi les principaux enseignements, nous avons retenu qu’il existe un lien très fort entre le monde académique et celui des entreprises sous l’impulsion des écoles. Cela nous a particulièrement marqué lors de nos entretiens à l’ETH de Zurich et l’EPFL à Lausanne.
Les écoles et universités incitent les enseignants à rechercher des financements privés, qui peuvent aller jusqu’à 70% pour les Hautes Ecoles Spécialisées. Par ailleurs, il existe une réelle porosité dans les parcours professionnels entre le monde académique et le secteur privé. A titre d’exemple, nous avons rencontré plusieurs acteurs à l’EPFL qui avaient fait une première partie de carrière dans le monde de la finance ou de l’industrie.
Ce lien entre monde académique et business se matérialise par des dispositifs au sein des écoles pour encourager, accompagner, coacher les étudiants et enseignant à la création de start up. Par un dispositif comme « Innogrant », l’EPFL « fait la banque » lors des premiers pas de ces start up en prenant des parts au capital et en récupérant des royalties des brevets générés.
Autre enseignement de nos entretiens : la diversité est un facteur clef pour innover. De nombreux acteurs ont mis cet élément en avant, en craignant que cette diversité ne se tarisse par les votations tendant à limiter l’immigration. Cette diversité, la Suisse l’a suscitée par son attractivité. A l’EPFL 52 %des étudiants sont étrangers et nous avons rencontré beaucoup de patrons de start up venant de France.
L’attractivité de la Suisse repose également sur la qualité de son système de formation, avec des écoles de référence mondiale (Ecole Hôtelière de Lausanne, écoles polytechniques, etc.) et un système qui permet des passerelles tout au long de la formation secondaire et supérieure. La formation insiste beaucoup sur le concret, le bon fonctionnement des choses avec peu de place pour l’abstraction ; la compétitivité entre élève y est peu présente et l’accent est mis sur la vie en communauté.
Les suisses ont coutume de dire qu’ils ne savent pas pourquoi le « miracle » de l’innovation est possible dans leur pays. A travers nos entretiens, nous avons pu percevoir les facteurs de cette réussite, qui nous permettent dès à présent d’alimenter notre réflexion.
Laurent Boutin, co-organisateur de la mission en Suisse, directeur adjoint Innovation SNCF Réseau.