Nous sommes au milieu du XVIIIe siècle sous le règne de Louis XV, dit le « bien-aimé ». Le chevalier Louis-Joseph de Vendôme a 22 ans. Ce serait le fils naturel du duc de Vendôme, lui-même arrière-petit-fils d’Henri IV par la main gauche. Le duc de Vendôme fut un grand général, présent sur les champs de bataille en Italie et en Catalogne, pour le compte de Louis XIV, son cousin. Le jeune Louis-Joseph était de haute lignée mais peu fortuné car son père naturel ne lui avait guère légué que des manuscrits détaillant ses faits d’armes, qu’en fils zélé il s’employait à classer. Sa royale ascendance, même batarde, lui donnait accès aux salons des plus grandes familles de France. A ce titre, il fréquentait la maison du marquis de Nesles, Louis de Mailly. Ce gentilhomme avait cinq filles, fort jolies et fort courtisées. Louis-Joseph était de leurs soupirants. Cependant les demoiselles avaient d’autres ambitions. À tel point que quatre d’entre elles devinrent les maîtresses successives…du même homme, le roi Louis XV.

Louis-Joseph ne découvrit que tardivement son infortune devant son royal rival et, contrairement aux conseils avisés de ses amis, ne put s’en consoler. Un soir de beuverie, il décida d’écrire un pamphlet peu flatteur pour les demoiselles, devenues comtesses ou duchesses car Louis XV s’attachait à ce que ses maitresses fussent titrées soit par mariage arrangé soit par dotations. Le libelle s’intitulait les « trois Marie[1] » car les dames se prénommaient Marie-Louise, Marie-Pauline et Marie-Anne. Le document, diffusé sous le manteau, arriva à la connaissance du roi et de sa maîtresse du moment, Marie-Anne de Mailly, duchesse de Châteauroux. La police ne tarda pas à mettre la main sur l’auteur qui reçut une lettre de cachet l’envoyant au donjon de Vincennes.

Le jeune écervelé pensait en être quitte avec quelques jours à l’ombre pour payer sa médisante indélicatesse. Les jours, les mois, les semaines puis les années passèrent. Ses courriers de demande de clémence ne parvinrent jamais à destination et on se désintéressa totalement de lui. Même le décès de sa persécutrice, la duchesse de Châteauroux, en 1744, ne conduisit pas à son élargissement. Ses documents personnels, hérités de son père, lui furent confisqués et se retrouvèrent à la Bastille avant de partir, en 1787, à la Bibliothèque du roi puis à la Bibliothèque nationale. D’après le témoignage de ses geôliers, il vieillit avant l’âge, ne s’intéressant plus qu’à sa nourriture. À la fin, il avait l’air, dit-on, d’un vieillard centenaire. Il serait mort à Vincennes, à cinquante ans, après vingt-huit années d’emprisonnement au donjon[2].

Vingt-huit ans à l’ombre pour quelques propos irrévérencieux et polissons, cela fait beaucoup et ce n’est pas à l’honneur de la monarchie absolue au siècle de Lumières. Toutefois, à y bien réfléchir, on pourrait se demander si restaurer, même très modérément, ce genre de peine ne préserverait pas de la divulgation de certains détails de la vie privée ou intime, que les réseaux sociaux colportent allègrement de nos jours ! Mais c’est évidemment politiquement très incorrect, n’est-ce-pas…

[1] Selon certaines sources, le libelle se serait en fait appelé « les trois Mailly » (d’après la Bastille dévoilée par Louis-Pierre-Manuel Charpentier, 1789).

[2] Ces éléments proviennent de l’Histoire des prisons d’Etat, le donjon de Vincennes, par Alboize du Pujol et Auguste Maquet, 1869. Cette histoire cruelle est sans doute romancée car, pour d’autres (le chevalier de Bellerive : un pauvre diable au XVIIIe siècle par Fadi El Hagel, 2015), ledit fils naturel de Vendôme serait en fait le chevalier de Bellerive, incarcéré pour libelle contre le roi, décédé à près de 80 ans en 1770 après 20 ans d’emprisonnement à la Bastille puis à Vincennes. Les deux ne seraient qu’un et les historiographes du XIXe n’étaient pas si regardants quant à l’exactitude historique formelle, moi non plus !

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP