Créé dès 1835, l’hebdomadaire Les Affiches de la Haute-Saône publie régulièrement l’été une chronique judiciaire bien nourrie. Elle relate les audiences publiques du tribunal d’instance de Vesoul pour des affaires de droit commun. Un journaliste, qui y passe deux bonnes journées, en fait un compte-rendu détaillé souvent en partie sur le mode humoristique. C’est évidemment la relation de la misère humaine et des déviances communes : drogue, alcool, inconduites routières et conjugales, règlement des comptes familiaux. Malgré le caractère un peu « voyeur » du sujet, les échanges entre les inculpés et les juges ne manquent pas de sel et éclairent tant sur la mauvaise foi humaine que sur l’humour – souvent involontaire – des intéressés.

Les automobilistes, même en défaut flagrant de permis ou d’assurance, ne manquent pas d’une autre forme d’assurance… Ainsi ce conducteur de 38 ans, privé de permis pour diverses infractions graves en 2015, et intercepté avec 1,58 g d’alcool dans le sang, passe au tribunal pour diverses autres babioles dont deux refus d’obtempérer et conduite sous emprise de stupéfiants. Pour tenter d’amadouer le tribunal, l’intéressé avance que le bracelet électronique ne l’arrange pas, ce n’est pas pratique pour conduire même sans permis ! Le juge l’a rassuré…en lui indiquant qu’il allait écoper de deux ans ferme. Un jeune de 20 ans, qui n’a jamais jugé utile de passer le permis de conduire, avait deux spécialités, le vol dans les voitures et le vol du véhicule lui-même pour rentrer chez lui. Pour rendre service il joue aussi le chauffeur de voiture volée par des amis soucieux de ne pas prendre le volant en sortie de discothèque : un jeune homme serviable donc ! Le procureur constate que « l’intéressé cède facilement à la facilité », surtout quand elle s’éloigne du droit chemin. Moralité : 6 mois ferme.

Les querelles de famille remâchées peuvent nous rappeler – en un peu moins sanglant – la saga des Atrides. Ainsi ce fils de 35 ans qui, au terme de cinq années d’errance, revient dans la maison familiale des Vosges comtoises et trouve sa mère dans un état inquiétant. (Elle décèdera trois semaines plus tard). Mais le fils accuse son père, adepte de la médecine douce et du recours au pendule, d’être la cause de la léthargie fatale de sa mère. S’ajoute à cela un remugle de ses années de jeunesse difficiles avec le patriarche autoritaire de la maison. Bref, plutôt que de s’en remettre à la justice terrestre ou d’attendre une réponse divine dans cette famille très catholique, le jeune homme décide de passer aux actes.  Il s’empare d’un fusil de chasse et part dans les prés où le père faisait la fenaison avec ses autres fils. Il tire une première fois en l’air puis met en joue le tracteur. L’un de ses frères saute du tracteur mais le père, sommé « de descendre et de s‘agenouiller devant un crucifix pour faire pénitence », refuse. Une deuxième détonation pulvérise le parebrise. « Je ne l’ai pas visé et c’était des tout petits plombs », déclara l’auteur. Pourtant l’expertise balistique montrera que, malgré leur « finesse », ces plombs de chasse auraient pu tuer la victime qui sera touchée par des éclats de verre au visage. Après 9 mois de prison préventive, le presque parricide écopera de 18 mois de prison, dont 9 avec sursis. Manifestement le tribunal était embarrassé avec cette tension œdipienne difficile à démêler. D’autant que, fort bien conseillé par son avocat, l’accusé arborait au tribunal un polo avec l’inscription « Le meilleur papa du monde » en déclarant qu’il rêvait d’une réconciliation. Vrai ou faux, il obtint un jugement lui permettant de sortir libre du prétoire…

L’aveuglement de la passion amoureuse fait aussi des victimes au cœur tendre et à la crédulité angélique – du moins en apparence. Ainsi cette jeune femme qui communique à son ami ses coordonnées bancaire pour que ce dernier s’achète à ses frais une paire de chaussures de sport. Ce que fit l’intéressé qui, toutefois, n’en resta pas là et conserva les références bancaires de sa dulcinée même après leur rupture. Celle-ci mettra du temps à s’en apercevoir – du moins c’est ce qu’elle déclare au tribunal – puisque c’est lorsque le montant des débits « injustifiés » atteint 15 000 € qu’elle découvre l’abus de confiance. Toutefois la naïveté de la demoiselle n’est pas aussi totale qu’il en paraît. En effet, l’accusé, tout en reconnaissant les faits, observe que certains des achats en cause nécessitaient la connaissance d’un code confidentiel unique communiqué par le portable de la titulaire. Ou bien celle-ci était donc consentante et informée de l’achat ou bien cherche-t-elle à imputer à son ancien ami des dépenses personnelles. Finaude, la victime ! Malheureusement pour lui, l’accusé avait déjà un casier judiciaire étoffé qui ne plaidait pas en sa faveur ni en sa totale bonne foi. Le tribunal ne reconnaîtra à son endroit que la moitié des achats inconsidérés à rembourser mais lui infligera un an de prison dont la moitié avec sursis.

Le tribunal doit parfois développer des talents de psychologue pour démêler des relations complexes face à de beaux parleurs. Ce semble être le cas d’un musicien de 33 ans, habile en dialectique et, tentant de passer du rôle d’oppresseur à celui de victime d’une vengeance concertée entre ses deux anciennes compagnes. Inculpé pour avoir donné des coups de pied à l’une d’entre elles sur un parking de Vesoul, il rétorque que c’était la réponse à une gifle. Les deux femmes se plaignent d’une pression permanente à leur endroit allant jusqu’à préparer les « bonnes » réponses à faire lors des repas de famille et à des comptes-rendus détaillés de ses déplacements. Le séducteur enjôleur met cela sur le compte de sa passion et les victimes, pourtant interpelées, se défendent mollement en déclarant qu’étant amoureuses, elles acceptaient ces exigences et se réconciliaient avec leur « bourreau » après quelques éclats. Peu soucieux de trancher clairement, le tribunal fait preuve de clémence et ne décerne à l’accusé que 6 mois avec sursis probatoire, assortis de 1 400 € de préjudice moral et de frais d’avocat.

En substance, rien de bien réjouissant dans ces tableaux du comportement humain. C’est toutefois la noblesse et la difficulté du métier de juge que de trouver la bonne sentence. L’image de la Justice figurée par une balance pend en l’occurrence sa dimension concrète.

 

Billet d’humeur de Dominique Maillard, Président d’honneur de la FNEP